Relax ft Ezekiel

Relax

Je passe la plupart de mon temps dans le Bronx. C'est le quartier que je connais le mieux, après tout. Celui où je me suis installé en arrivant aux USA, celui où je bosse dorénavant, et plutôt deux fois qu'une. Mais même si cela ne se voit pas, mon statut financier désormais bien augmenté, je devrais plutôt me plaire côté Manhattan. Pourtant, ce n'est pas le cas. Le Bronx, par rapport à là où j'ai grandi, c'est le luxe. J'y suis pas trop mal, au final, malgré le bruit des sirènes et celui des coups de feu. En plus, je suis même pas certain que la nuit, les quartiers huppés soient exempt de ces bruits nocturnes typiquement new-yorkais (ou au moins américains) auxquels je me suis finalement habitué.

Je traînais par là pourtant, boulot oblige. Du moins pas le boulot que j'apprécie, les mains dans le sang à sauver des vies, mais celui qui me casse les couilles, à enfiler des beaux habits et se farcir des colloques plus ou moins intéressants. Bon, en vrai, y'en a qui sont vraiment utiles. Mais quand la moitié des discours sont ceux de commerciaux plus que des médecins, ça me gave. Mais j'aime bien les emmerder, ces vendeurs de "miracles" qu'ils n'ont testé que dans des études payées par l'entreprise qui fabrique les produits. La bonne blague. Mon jeu préféré lors de ces passages, c'est de lever la main pour poser une question, laquelle ne comporte qu'un seul mot : "sources ?". Quand je ne suis pas encore trop fatigué de leurs discours, je fais même une phrase complète, mais c'est la même : quelles sont vos putains de sources. Sans le putain. Mais l'attitude y est. Que des médicaments soient étudiés par des laboratoires pharmaceutiques et qu'ils soient ensuite testé par une étude médicale promptement menée et sans biais, ou en tout cas le moins possible, c'est la base. Mais quand il s'agit de représentants commerciaux venus vanter un complément alimentaire prétendument miraculeux, ça me gonfle d'une force incroyable. Si j'ai quitté l'Inde, c'est aussi pour arrêter de prescrire des pilules au sucre aka homéopathie, qui n'ont d'utilité que pour ceux qui y croient. C'est une croyance, une religion. Oh, j'ai une religion moi aussi, que beaucoup qualifieraient de comique vu le nombre de dieux qu'on se paie et leurs histoires. N'empêche que je ne prescris pas plus de prière que de sucre pour les patients. La croyance n'a pas sa place en médecine.

Anyway. J'ai fini par m'enfuir discrètement du colloque quelques heures avant la fin, quand j'ai vu sur le programme que les derniers intervenants n'étaient autres que ces charlatans persuadés de faire le bien (ou convaincu par le sacrosaint dollar uniquement). Je n'avais pas envie de rentrer tout de suite, un peu trop énervé par tout ce que je venais de supporter aujourd'hui. La médecine en costume, c'est franchement pas mon truc.

Et puis, j'ai eu une idée pour me détendre, et retirer mon costume. Y'a Ez qui habite dans le coin, peut-être qu'il est dispo ? Il m'a jamais vu dans ce genre de tenue, peut-être que ça le ferait rire. Peut-être même qu'il aurait envie de voir ce qu'il y a dessous. Je sais pas trop, je vais déjà voir s'il est dispo, lui proposer un verre, et pour la suite on verra bien.

Je sors mon téléphone pour lui envoyer un message, simple mais efficace.

Hey handsome, je suis dans le coin de Manhattan, t'es par là ?

Relax

Une longue journée qui touche bientôt à sa fin. Enfin longue surtout parce qu’il a écouté son père lui parler encore et encore de descendance, que même s’il ne peut pas en avoir, qu’il peut en adopter. Son cher paternel tient à ce que la succession continue même si les possibles enfants ne seraient pas de son sang. Déprimant. Eze avoir un gosse? Clairement pas. Pas qu’il ne les aime pas mais il n’a tout simplement pas envie d’en avoir. Bien sûr son père ignore qu’il n’est pas vraiment stérile. En fait Eze n’a jamais fait de test alors il pourrait tout aussi bien l’être sans même le savoir. Il n’aime pas trop d’avoir dû utiliser ce mensonge mais il se voyait mal lui dire qu’il préfère les queues. Forcément, pas sûr qu’il aurait apprécié. Alors il a inventé ce mensonge. Parce que jusqu’à preuve du contraire, deux mecs ne peuvent pas faire de gosses et coucher avec une femme ne lui fait pas vraiment envie. Et vu qu’il ne veut pas de gosse de toute façon… Du coup après avoir passé une soirée de routine à traîner dans les bars pour finir dans les bras d’un parfait inconnu, Eze a dû se lever plus tôt qu’il ne l’aurait voulu pour déjeuner avec ses parents. Bien sûr sa meilleure amie, sa femme aux yeux des autres, était de la partie, forcément. Pas sûr qu’il aurait tenu sans elle.

En cette presque fin d’après-midi, le voilà enfin rentrer à l’hôtel, dans son cher penthouse, déjà prêt à sortir pour aller oublier ce fameux déjeuner en s’offrant un verre, voir en trouvant quelqu’un pour le lui offrir. Ou juste quelqu’un avec qui s’envoyer en l’air histoire de se débarrasser de la frustration de cette journée. Alors qu’il s’apprête déjà à sortir, il reçoit un message qui lui fait revoir ses plans. Peut être bien qu’il n’aura pas à sortir pour se trouver un quelconque plan cul au final. Il répond aussitôt à Abhi.

Suis chez moi, tu connais l’adresse.

Il l’envoit puis retire sa veste qu’il venait juste d’enfiler. En attendant que l’autre homme arrive, il en profite pour aller prendre une douche histoire de se détendre un peu. S’il est dans le coin, Abhi ne devrait pas mettre longtemps à arriver alors Eze ne perd pas de temps et se rend aussitôt sous la douche.

Un sourire se dessine sur mon visage. Après l'effort, le réconfort ! Le moment détente sera bienvenu. J'ai l'impression que ça fait des lustres que je n'ai pas eu l'occasion de me laisser aller comme ça. Entre l'hôpital, la clinique et le reste, je n'avais pas ouvert d'appli de rencontre depuis un moment déjà. Et puis là, on se connaît, c'est mieux. Je ne risque pas d'être déçu et de me retrouver avec un manche.

Je me précipite dans le métro, je cours pour grimper dans la rame avant que les portes ne se referment. Je n'attendais pas grand chose en envoyant ce message, mais maintenant, j'étais à bloc. Je marche vite, grimpe les marches quatre à quatre. Juste avant de sonner, je respire un bon coup, réajuste mes vêtements. C'est pas tous les jours que je débarque en costard à un rendez-vous où je n'ai pas besoin de faire des courbettes avant de finir au lit. Alors autant en jouer un peu, ça ajoutera un peu de jeu à la partie de jambes en l'air qui s'annonce.

Je reprends ma respiration, passe vainement mes mains dans mes cheveux pour tenter de les dompter, et sonne avec une hâte que j'ai rarement eu à ce point. On dirait presque un adolescent sur le point de passer sa première soirée en l'absence d'adultes dans une maison. J'espère juste faire une meilleure performance que ce genre d'ado... mais à priori ça devrait le faire, hein ? Je n'ai absolument aucune raison de stresser, de toute façon. Je connais Eze, il me connaît, on devrait avoir de quoi passer une bonne soirée. La détente absolue.