(1M) les iris d'émeraude sans larme

Il était une fois, il y a plus de quinze ans, deux garçons qui s'étaient croisés, avaient même mêlé leurs chevilles, assis sur un banc, dans un parc désert le long de Coney Island. L'un d'entre eux avait à la main une barbe à papa aromatisée à la menthe, l'autre un sac de churros, et qu'importaient les grains de sucre posés sur leurs lèvres, ils riaient, discutaient, murmuraient, se promettaient d'autres secrets. Ils avaient treize ans, venaient tous deux de familles pauvres, et s'étaient trouvés tant de similitudes que lentement, leurs myocardes avaient commencé à s'accorder.

Au fil des années, pas dans le même collège, ils avaient pris l'habitude de se retrouver le soir, d'échanger toujours plus de confidences, parfois même jusqu'au coeur de la nuit, et tant pis s'ils prenaient une soufflante en poussant la porte de leur logis ; chaque seconde grappillée à Nyx qui les réunissait avait au moins le mérite de les faire sourire. Sourire, puis rougir, le temps passant, avec les doigts qui s'entremêlent, et puis les premiers baisers, corps couchés dans l'herbe qui se prêtent à des jeux abyssins. Ils explorent, découvrent, chacun devient le premier de l'autre, c'est beau, c'est doux, et aucun nuage à l'horizon.

Jusqu'à l'orage : Maverick a le coeur plein, le coeur qui déborde, hypersensible qui se découvre, les yeux qui pleurent souvent, de joie comme d'amertume, mais en face de lui, l'amoureux ne ressent que la chaleur. Pas de sentiments qui explosent, pas de feux d'artifices sentimentaux ; c'est une drôle de bestiole, en soi, et même sous les caresses de son amant, il ne ressent qu'un immense vide qui ne se comble que de la chaleur des corps. Insensible, pas vraiment, même s'il aura des années derrière pour tenter de comprendre ce qu'il se passe dans ses neurones. Un jour, les mots sont lourds, et il annonce son déménagement à l'amoureux transi. Torrents de larme, coeur qui s'émiette du bout des syllabes, il disparaît, se tire à l'autre bout du pays, parents gangsters qui fuient la police de l'état après un trop gros coup. Il s'évapore, laisse dans l'herbe mouillée de la rosée du matin celui au palpitant meurtri.

C'est la fin d'une belle histoire ; ou peut-être n'en est ce que le début ? Car l'insensible va, dans sa nouvelle maison, trouver un équilibre, un premier job, loin de ses parents pour la majorité de la journée, va même consulter un psychologue. En apprendre plus sur lui, sur ses réactions, apprendre même à associer certaines vibrations de son corps à des émotions. Il ne l'est pas tant que ça, finalement, insensible.

Alors, quand, quinze ans plus tard, il redébarque, cherche vainement l'autre âme esseulée à Coney Island, sans la trouver, qu'il finit par associer la couverture d'un magazine à celui qu'il avait embrassé, le nouveau sensible comprend que bien des choses ont changé ; ce n'est qu'une histoire d'yeux qui vont se recroiser, de corps qui vont reprendre le même ballet, à coup presque sûr, quand tout aura été expliqué.