Mortal Khantilly - ft Aaron

La fatigue et moi, ça ne fait jamais mon ménage. Et vu mon rythme de vie —qui consiste à fuir par tous les moyens ma femme, qui ose même attendre dans mon appartement de futur divorcé et travailler sans relache—, il n’était pas étonnant de me voir faire des courses à des heures délirantes. Que le Ciel soit béni que des supérettes soient ouvertes 24h/24 ! Cette situation ne pouvait pas durer, je le savais… Et pourtant, j’étais là, à des heures où la société dort, à trouver cette superbe promotion sur de la crème chantilly en bombe. Une pensée peu orthodoxe me traversait l’esprit sur l’utilisation que je pourrais faire de cet aliment, si je venais à revoir Wesley. La fatigue —ou un autre sentiment que je préfère cacher dans le déni— me poussa pour autant à mettre ceci dans mon panier alors même que je m’interdisais de nouvelles retrouvailles avec.  De telles nuits avaient le don de m’apporter un lot de sentiments forts mais aussi positifs que négatifs. Et bon sang, j’étais encore marié ! Avec une infidèle refusant de signer les papiers, mais tout de même ! Et… Non, je n’étais pas prêt à assumer ce que tout ceci pouvait dire à mon sujet.

Avec mon état —des cernes, t’as peur, mais ça avait le mérite d’être cohérent avec mon boulot de médecin légiste— mes courses ressemblaient vraiment à une distribution faite au hasard. Si j’étais un sims et que quelqu’un jouait avec moi, sa liste de besoin était très étrange… Des tomates cerises, du pesto, du liquide vaisselle et surtout six pots de compote pomme-cerise ? Qu’on m’explique ce qu’il venait de se passer dans mon crâne ? Non, sérieusement, je venais de sortir de la superette avec près de trois kilos de compote… En vivant seul. Et, rien, à cet instant ne me semblait étrange dans cette situation. Si ce n’est en arrivant sur le parking. Vide, certes… Mais cette étrange silhouette me dérangeait. Etais-je suivi ? J’en avais terriblement l’impression. Encore une fois, il était fort à parier que ma fatigue était l’investigatrice de l’idiotie qui allait suivre.

A l’instant où l’inconnu passa à mes côtés, convaincu que ce dernier allait m’attraper le col, je lâchais mes sacs. Un fracas de verre lourd s’en suivi avant de décapsuler la chantilly —resté en main, à croire qu’elle représentait plus que je ne voulais l’admettre— et d’agresser mon assaillant avec… Ridicule, je vous avais prévenu. Encore plus quand, en reculant, de mon second sac, je sorti mes tomates cerises de les envoyer sur l’homme, plongé dans l’obscurité.

A cet instant, j’aurai dû fuir, surtout vu les bruits qu’il faisait —normal de râler quand on vous asperger de chantilly et de tomate sans votre consentement— et pourtant je restais là, à le regarder. Ma voiture n’était pas bien loin, je n’avais qu’à courir… Fuir… Comment, je le faisais souvent ? La remarque me fit tiquer. Et je restai là, le regardant.

—Je… Vous n’êtes pas là pour me voler, c’est ça ? Enfin, vous pourriez avoir envie de m’agresser maintenant, vu ce que je viens de faire mais… Ce n’était pas votre but initial, n’est-ce pas ? Je suis désolé, je… Merde, j’suis plus à l’aise socialement avec des cadavres que des humains.

La fatigue me faisait divaguer, je me repris.

—Enfin… Je veux dire, c’est normal, je suis médecin légiste… tenez, prenez ça... Merde, je suis sincèrement désolé, soufflais-je en lui tendant un mouchoir que j’avais dans ma poche.

Malgré sa réaction, je n’avais pas l’impression qu’il tentait de me faire du mal. Il semblait surpris pendant l’agression alors… Avais-je mal jugé ? Tout me semblait à porter que oui, je venais de merder, et pas qu’un peu. Bravo Eden, encore une super nuit !

Voilà ce que le manque de sommeil peut provoquer. Il y a se sentir con, et l’être… Et à cet instant, je sentais bien que la limite était particulièrement fine, me concernant. J’eu un rire jaune, me rendant bien compte de ma bêtise… D’un autre côté, je me sentais rassuré à l’idée qu’il n’y avait pas de risque de vol, ni d’agression. J’étais entrainé pour me défendre —travailler avec la police oblige— mais mon manque cruel de sommeil me faisait terriblement défaut. Je me pinçais l’arrête du nez en soupirant, la vision de toute cette superbe compote sur le sol était désolante… Et peut-être que là, encore, la fatigue ne m’aidait pas à relativiser ce qu’il se passait. Les trois quarts des courses étaient sur le sol, et j’en étais profondément attristé. Mes tomates cerises, ma douce chantilly et ma compote… Je n’ai pas eu l’occasion de vous gouter, mais nous serez à toujours dans mon cœur, à défaut d’être dans mon estomac, songeais-je en regardant le sol, presque la larme à l’œil.


Les propos de Aaron parviennent à me sortir de cette sorte d’état second. Clairement, je ne pouvais pas lui en vouloir de penser que j’étais sous l’emprise de produits psychoactifs.


—J’aimerai bien vous dire que c’est le cas… Mais, non. Je suis —je secouais mon poignet pour voir ma montre— Oh ! ça fait juste vingt-cinq heures que je suis débout, ceci expliquant cela…

Cette image me fit rire, même si dans le fond, il n’y avait rien de plus dramatique de me rendre compte que je courais à gauche à et à droite entre travail fuite de mon épouse. J’étais tombée aussi bas que ça ? Il semblerait que oui.

—Ecoutez, j’imagine bien que tout ceci doit être particulièrement désagréable, et laissez-moi vous prêter une chemise. Histoire que vous ne rentriez pas chez vous avec de la chantilly séchée sur les épaules. Ma voiture est juste là —que je désignais du bout des doigts— j’ai toujours des vêtements de rechanges… Je bosse avec la police, du coup, on est jamais à l’abri de finir avec des tâches de… Enfin, vous voyez quoi.

Oui, je n’allais pas parler de sang maintenant. Déjà que l’homme en face de moi pense que je suis complètement défoncé, si en plus je lui donne l’impression d’avoir un psychopathe en face de lui, clairement la situation ne va pas s’arranger du tout.

—Je vous aurai bien proposé de vous ramener en voiture, mais vu ce qu’il vient de passer et mon état de fatigue, je ne pense pas que ça soit pertinent et je vais probablement dormir dedans… Cela étant dit, je peux vous payer un taxi ? ça serait vraiment le minimum pour la gêne occasionnée.

Et je tenais vraiment à pouvoir l’aider. J’avais merdé. Et même s’il n’y avait pas mort d’hommes, je ne voulais pas le laisser dans cette situation aussi… sucrée qu’inconfortable.