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Merry Christmas !

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New York sent bon le sapin et la cannelle. Dans l’air flotte l’ambiance si particulière de Noël, des lumières accrochées un peu partout aux chants qui résonnent entre les buildings. Elda se balade dans les rues costumées le cœur léger ; le cabinet est fermé depuis des jours pour les fêtes de fin d’année et elle sait qu’elle n’y retournera probablement pas avant un moment, l’accouchement se profilant à l’horizon. Leterme était prévu pour hier, mais il faut croire que la nouvelle progéniture Sloane n’avait pas envie d’affronter le froid tout de suite ; bien confortablement installé dans le corps de sa mère, il ne semble pas encore prêt à sortir, retardant le plaisir e sa rencontre avec le reste de la famille et leur offrant également la possibilité de célébrer avant de passer quelques jours à la maternité. Comme s’il voulait déjà se faire bien voir par ses aînés en leur laissant le temps de déballer leurs cadeaux sous le regard de leur mère.
Hier, ils ont en d’ailleurs déjà déballés une bonne partie, comme toujours gâtés par leurs grands-parents paternels – du côté maternels ils ont déjà fêté il y a une semaine, la sœur aînée d’Elda avant être en Europe en cette fin d’année. Le repas était gargantuesque et la fête a fini bien tard, les plus petits s’endormant dans les bras de leurs parents. Il avait été convenu de toute manière qu’ils resteraient dormir là-bas afin de leur éviter la fatigue de rentrer tard le soir et de pouvoir également laissé du temps à Aedan pour préparer le réveillon et à elle pour se reposer. Et vu la grasse matinée qu’elle a passée, elle ne va pas se plaindre de toutes ces miettes de sommeil qu’elle peut encore agglutiner avant la naissance et les réveils en pleine nuit.

Bien reposée, encore en pyjama sur son canapé, elle avait scroll un moment sur les réseaux sociaux quand elle était tombée sur une publication qui vantaient les mérites des bûches glacées d’un pâtissier du coin… justement le dessert préféré de Harry et l’occasion de lui faire une petite surprise – d’autant que les choses n’avaient pas été faciles avec lui dernièrement. La boutique n’était pas très loin du nouvel appartement de son futur ex-mari chez qui ils célébraient ce soir ; elle pourrait donc passer la lui déposer afin de s’assurer de sa fraîcheur, et terminer quelques dernières courses de Noël.
Ni une, ni deux, elle avait enfilé ses bottes et un épais manteau, et se retrouvait maintenant en route pour cette fameuse boutique. Quelques stations de métro plus loin, elle en avait sélectionné une goût chocolat en espérant que le goût soit à la hauteur du visuel étourdissant. Son colis en main, soigneusement elle avait pris la direction de l’immeuble d’Aedan. Code de l’entrée gravé dans sa mémoire, l’ascenseur l’avait rapidement propulsée à l’étage désiré. Elle espérait simplement que l’hôte des lieux soit bien chez lui et n’ait pas également décidé de partir faire des courses… peut-être aurait-elle dû lui écrire, mais c’est trop tard. Tête en l’air… Merci les hormones !
Elle sonne à la porte, le gros carton en équilibre précaire dans une main, qu’elle vient rapidement assurer de l’autre. Quelques instants passent sans que rien ne semble bouger. Mince, il n’est pas là… Mais au moment où elle allait sortir son téléphone pour tenter de le joindre et lui demander s’il était dans le coin, la serrure pivote sur elle-même et elle sourit déjà, impatiente de voir celui qui reste malgré leur séparation, son meilleur ami.
Son meilleur ami ? Vraiment ? Quand la porte se dérobe, c’est tout le visage d’Elda qui blêmit. Elle ne s’attendait pas à revoir ces traits, pas aujourd’hui et certainement pas à cet endroit. Kaely. Son ancien amant, cette histoire passionnée qui avait duré des années en parallèle de son mariage. Cette histoire qui avait fini avec autant de fracas que ce qu’elle avait pu l’aimer, quand ils n’avaient plus supporté cette situation de toujours devoir se cacher. Cette histoire dont son mari savait tout, mais qu’il avait lui-même autorisée. Kaely. Mais qu’est-ce qu’il fout là ?!
La bûche glacée s’écrase au sol. Carton qui tremble sous le choc, probablement que le dessert ne doit plus ressembler à grand chose, les bonhommes de  neige et cerfs qui le décorent réduits en miette. Probablement comme son cœur alors qu’elle assimile les faits qui se présentent à elle. Son ex-amant dans l’appartement de son ex-mari. Elle n’est pas assez conne pour imaginer autre chose que la vérité qui lui éclate à la figure : Aedan et Kaely ont une liaison.
Et ça prend du sens, soudain. Cet époux qui n’arrivait pas vraiment à la toucher, qui l’aimait, mais qui était incapable de le faire dans leur lit conjugal. Elle se demande depuis combien de temps il a compris son homosexualité – était-ce avant ou après leur séparation ?Ça n’a pas d’importance. La seule chose sur laquelle elle parvient à se focaliser sur le moment, c’est la souffrance ignoble qui la boursouffle devant la trahison qu’elle vient de découvrir.Il a choisi la pire personne au monde et a apparemment décidé de lui cacher ça. Depuis combien de temps ça dure ?
L’estomac broyé par la découverte, elle tourne les talons avant que son ancien amant n’ait pu dire quoi que ce soit. Ascenseur en sens inverse, premier taxi qui passe et dans lequel elle se jette. Elle doit tenir. Pas de larme, juste la colère qui la dévore, si fort que ça la déchire de l’intérieur. Elda se repasse inlassablement toutes ses dernières conversation avec son futur ex-mari, comme pour y chercher un indice, quelque chose qui lui aurait échappé. Mais il a bien caché son jeu.
Arrivée chez elle, la photo souriante de leur famille unie lui saute à la figure. Agacée, elle la balance d’un geste de la main, vitre qui explose sur le parquet en millier de petites étoiles tranchantes. Merde. Faudra qu’elle gère ça avant le retour des enfants.
Qu’est-ce qu’elle va dire d’ailleurs, aux enfants ? Elle ne peut pas retourner chez Aedan et fêter Noël l’air de rien. Elle ne peut pas ! Mais en même temps a-t-elle le droit de les priver de voir leur père ?
Une voix horrible dans sa tête lui susurre que oui, qu’après tout, ce ne sont même pas vraiment ses enfants. Et elle a envie de mourir pour cette pensée.
Tout s’effrite comme le cadre brisé.
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Il y a quelques flocons de givre, sur la fenêtre, ce matin. Quelques flocons à peine, pas de quoi perturber les rayons de soleil qui viennent se perdre sur les draps froissés. L'appartement est silencieux ; Aedan dormait il y a quelques minutes encore, et il n'y désormais plus que les ronflements discrets de Kaely. Il adore l'écouter dormir ; pas d'une façon effrayante, mais parce qu'il aime sourire quand il entend les douces expirations de son amant, parce qu'il aime la façon dont le monde entier semble s'apaiser. Le théâtre de la vie se dépare de ses lourds rideaux carmins, à chaque lever de paupières, et il n'y a que le torse qui se gonfle d'air, que les murmures qui s'échouent sur la literie. Kaely est beau, quand il dort ; beau quand il se réveille, s'étire, lance quelques syllabes pâteuses. L'amour ne dure que trois ans, il paraît. Aedan n'y croit pas une seule seconde. L'amour avec Kaely durera évidemment plus longtemps ; Kaely est la renaissance, Kaely est le nouveau souffle, Kaely est mille réponses, Kaely est surtout l'envol du phoenix, dans un soleil qu'il n'aurait plus cru pouvoir aimer. Aedan s'était senti seul, différent, pendant des années ; dans un sens étrange, évidemment, puisqu'il avait l'âme soeur aux bras, voisine dans les draps, Elda en tenue de soirée ou habillée uniquement d'épiderme. Mais il se sentait coupable, tout ce temps : coupable de ne pas savoir l'aimer correctement, coupable de ne pouvoir lui offrir qu'un pâle duplicata de ce qu'ils notaient de leurs couples d'amis, plus jeune. Ils avaient discuté, échangé leurs secrets, prêté de nouveaux serments. On était bien loin des promesses de fidélité, évidemment, et peut-être que le monde se serait écroulé sous une telle apostasie. Mais ils étaient restés sur leur symphonie principale, sur le voeu premier qu'ils s'étaient offert : celui du soutien, celui de l'amour éternel. Si la Belle avait eu sa rose sous cloche, pétales infinies, veloutés, Elda aurait pour toujours un Aedan dévoué, un Aedan amoureux, à sa façon. Je la respecterais toujours. Il se l'était répété, en boucle, pendant des mois. Et puis, il s'était trahi.

Kaely grogne, dans son sommeil, et ça fait rire le quadragénaire, d'un rire muet, presque. Mais l'hilarité s'arrête vite ; la bouche sèche, après la soirée d'hier. Le pré-réveillon, lui même pré-Noël, une salve de cadeaux sur plusieurs jours pour les enfants, la semaine de la ruine absolue pour les parents. C'était une belle préparation, chaque année depuis la naissance d'Harry : assis dans la cuisine (auparavant celle de leur appartement, cette année dans celle d'Elda), ils avaient comploté, ils avaient échangé. Sur les confidences glanées ici et là, lors du bisou d'au revoir aux enfants, lors du câlin avant le conte. Des histoires de dragon en plastique, des envies de jouets, au fil des publicités qui fleurissaient à la télé, et dans les boîtes aux lettres. Il avait fallu trancher, parce que Spencer aurait adoré pouvoir s'endormir en princesse aux petits pois revisitée, sur sa montagne de peluches. Elle avait demandé de quoi remplir un parc naturel tout entier ; alors, les paquets bouclés, Aedan avait cédé à une pulsion, acheté une peluche de plus pour la benjamine. Un cheval gris, heureusement pas à bonne échelle. Il l'avait ramené, ce soir-là, et autour de leurs plans du restant des cadeaux à acheter, il y avait l'équidé grisé, et à l'opposé, un ours rose (Elda aussi n'avait pas résisté à un achat compulsif, apparemment). Après tout, Spencer ne serait bientôt plus le bébé de la famille : un rôle de grande soeur qu'elle rêvait d'incarner, à en croire ses questions répétées ces dernières semaines, et dont pourtant les parents se méfiaient. Ce ne serait pas la première fois qu'un benjamin devenu cadet changerait de comportement, pour tester les limites.

Le pré-réveillon chez les Sloane, la veille, avait été l'occasion pour les enfants d'ouvrir leurs premiers cadeaux. Des cris de joie, des rires, des effusions de bonheur, comme des feux d'artifice en tige, un immense jardin bienheureux. Le silence qui a envahi l'appartement au matin n'en est que plus déroutant. Dans quelques heures, il faudra récupérer le reste de la famille. Il faudra que Kaely s'en aille, sans rechigner ; Aedan n'avait-il pas répondu à son désir de passer une soirée chez lui, plutôt que de toujours se retrouver chez le professeur ? Ils avaient partagé une bouteille de vin, au coeur de la nuit, puis s'étaient endormis emmêlés comme des scoubidous jetés en vrac. Il ouvre enfin les yeux, le bel endormi, et il soupire. "Bien dormi, sweetheart ?" Il hoche la tête, lui offre ses lippes, rapide baiser et déjà Kaely se lève. Pas rapides vers la salle de bains, Aedan entend l'eau qui coule, devine la brosse à dents. Quelle heure est-il, déjà ? On sonne, ça le fait sursauter. L'eau qui coule à nouveau, sans doute la bouche rincée. Kaely qui réapparaît, chemise de nuit et caleçon comme tenue conventionnelle du dimanche matin, et puis il fait signe "je m'en occupe". Aedan hausse les épaules. Ça doit être un livreur, pour un énième cadeau oublié dont le paquet sera différent, la rue dévalée pour le trouver au plus vite.

La porte s'ouvre. Aedan entend quelque chose qui tombe, dans un bruit sourd. Il se lève en fronçant les sourcils. La porte se referme. Il entend un juron. Il entend un prénom. Elda.

Il comprend aussitôt, le nez, il a pigé le parfum de ses émotions, et pourtant ça doit être fouillis, dans sa tête. Il enfile un jogging, un sweat, une paire de baskets. Court dans l'appartement, embrasse Kaely, la main sur la poignée. "On se verra mercredi, je dois y aller." Il hoche la tête, toujours choqué sans doute. Elda a compris. Elda a refait le paillasson, saveur chocolat. La bûche était belle ; l'idéal pour Harry, et même Oscar aurait fini sa part, lui qui joue les perfectionnistes avec la nourriture, comme s'il avait été élevé par des chefs hors pairs. Aedan dévale les étages, l'ascenseur n'irait pas assez vite. Essaie d'appeler Elda, ça sonne dans le vide, elle ne décroche pas. Est-ce qu'elle pleure ? Aedan déteste la voir pleurer, ça lui serre le coeur, il se sent inutile. Est-ce qu'elle le déteste ? Non, ne te raconte pas de conneries. Elle n'est nulle part dans la rue. Sans doute s'est-elle jetée dans une brise, devenant tornade, balayant les avenues jusqu'à... Chez elle, évidemment.

Taxi hélé, billets lancés sur le siège passager, la jambe qui vibre. Trois autres tentatives d'appel. Pas de réponse. Il claque la porte, en sortant, la jambe qui tremble encore. Ça fait... Vingt minutes ? Trente ? Beaucoup trop, en tout cas. Il court, dans la rue, se réjouit de voir la porte du hall ouverte. Monte les escaliers quatre à quatre, et puis, devant la porte, essoufflé, hésite un instant. Lève la tête, inspire. Ses poumons crachent un ouragan entier, alors qu'il frappe. "Elda, c'est moi. S'il te plaît ouvre-moi ! Je vais tout t'expliquer. S'il te plaît, Elda." Il a la voix qui vire dans trop de notes, le coeur qui bat la chamade, une fanfare entière, et il s'agite, derrière la porte, le corps entier électrisé, ne veut pas hausser le ton, pour ne pas ameuter les voisins. Il s'appuie sur la porte. Attend, le front posé à son tour, sur le judas ; sur son homonyme, dans la tête d'Elda.

Putain, pourquoi je t'ai fait ça ?

@Elda Sloane
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Assise sur le parquet, elle ramasse les bouts de verre, les larmes qui dévorent ses joues, les gouttes de sang qui picorent le bout de ses doigts. Elle ne les sent pas pourtant, les petites écorchures qui s’accrochent à son épiderme, poussière d’étoiles qui cherche à se glisser sous ses doigts – c’est mieux ainsi que sous les petits petons qui finiront bien un jour par rentrer à la maison. La maison. Ce foyer, celui qu’ils avaient construit avec Aedan pour y accueillir le bonheur d’une première frimousse, jusqu’à cette dernière surprise à laquelle il ne s’était pas attendue, ce cadeau pour Noël, ou presque, puisqu’il ne semblait pas décider à sortir. Le ventre d’Elda est énorme, elle ne voit même pas les bouts de verre qu’elle ramasse, les échardes du cadre brisé, la famille qui s’est explosé. Elle ne sait pas là où ça fait le plus mal. La mère trahie, l’ancienne épouse abusée, la meilleure amie trompée. La photographie où sont figés les sourires ne lui a jamais paru aussi mensongère.
Depuis combien de temps cela dure-t-il ? Elle se rappelle son soutien lors de sa séparation avec Kaely, cette épaule sur laquelle pleurer, la seule au courant de ce qui venait d’exploser près du cœur grenadine. La gentillesse de ses mots, la douleur de ses actes jusqu’à ce que ça dégringole dans un acte charnel teinté de l’odeur du vin rouge. Leur première fois ensemble après vingt ans de mariage. Est-ce que ça avait déjà commencé à ce moment ? Est-ce que c’était sa manière à lui de se faire pardonner ? Imaginait-il le visage d’un autre lorsqu’il la caressait sous les draps frissonnant ? Les gouttes de sang sous la poitrine, tous les scénarios qui s’enchaînent et la peine qui se déchaîne. Il l’a trahie et c’est ça, en fait, le plus déchirant. L’homme qu’elle aimait, cette âme sœur qui a accompagné chacun de ses chemins depuis qu’elle est devenue adulte, cette alliance qu’elle conserve encore comme le souvenir heureux de leur vie à deux – puis à trois, à quatre, à cinq. Il l’a trahie alors qu’elle l’aimait éperdument. Pas charnellement – et c’est ce qui les a au final poussé à rompre ce mariage, à tenter d’avancer vers autre chose –, mais profondément tout de même. Amicalement, amoureusement. Les papiers du divorce avaient beau être en cours, ça ne changeait rien en ses sentiments, c’était simplement vivre cet amour là différemment. Du moins, c’est ce qu’elle croyait, ce dont elle se persuadait. Bêtement. Parce que pendant qu’elle dormait dans le grand lit froid, ils moquait dans d’autres bras. Il dormait dans d’autres bras. Il aimait d’autres bras. Et si la nouvelle l’aurait réjouit, sincèrement, dans n’importe quelles autres circonstances, c’était là un abattage de sa confiance et de son amour. C’était Kaely. C’était la limite à ne pas franchir. C’était lui déchirer la gorge pour lui arracher le cœur.

Coups frappés à la porte d’entrée, la voix qui perce la porte et défie les larmes. Aedan est là, comme cette fleur de sentiments qui ne fane jamais. Le seul capable de calmer les sanglots ; mais qui peut encore les consoler quand il est coupable de les avoir créés ? Difficilement, Elda se relève, les mains pleines de verres et le ventre plein de coups. Le bébé s’agit, déchire, comme un écho à sa mère. Il fait mal, presque comme pour contrebalancer la douleur émotionnelle ; ou c’est simplement que la souffrance émane de chaque partie de son être.
La pluie de miettes brisées échoue au fond du sac poubelle sans qu’elle ait pris la décision d’ouvrir ou non cette satané porte. Les mots sont comme des flèches dans ses tympans. Je vais tout t’expliquer. Expliquer quoi ? La trahison ? Les mensonges ? Elle a envie de se réfugier sous son lit, d’enfoncer ses écouteurs au fond de ses oreilles pour faire hurler une autre musique que ses sanglots. Elle a envie de redevenir une enfant, de recommencer à croire que, sous sa couette, il ne pourra jamais rien lui arriver, que les monstres sont incapables de la suivre jusque là-bas. Mais le croque-mort s’est éteint avec l’adolescence et la vie s’est coloré de la réalité : les plus affreuses créatures ne vivent pas sous nos lits. Elles peuplent les rues, notre pallier de porte, les bruits du parquet qui craque. Elles crachent, grattent, trahissent surtout. Et un jour, il faut bien finir par les affronter.
Son regard se pose sur les dessins des enfants sur le frigo. Elle sait qu’elle ne peut pas leur faire ça, qu’ils n’ont rien à faire dans toute cette histoire. Alors sous l’eau elle essuie les gouttes de sang, sur ses joues, elle essuie les gouttes de tristesse. Puis, le monde toujours en miette dans son estomac, Elda ouvre la porte.

– Depuis combien de temps ça dure ? Depuis combien de temps tu me mens ?

Dans l’encadreur de la porte elle a l’impression d’être gigantesque. Le dos un peu courbé sous le poids d’un corps inhabituel, ce gonflement qui le pousse un peu plus loin, comme s’il cherchait à mettre de la distance entre le coupable et sa victime. Un corps presque gargantuesque, aux limites de son être, qui remplit tout l’espace de la brillance de ses yeux. De la douleur qui palpite.

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Fresque malade qui lui tord le bide, qui lui retourne à la fois les méninges et la langue. Il ne sait pas quoi penser, il se sent désolé, coupable, et en même temps, il y a les ailes de la liberté qui ont poussé. Ange chétif aux plumes brisées, il se demande s'il a bien fait, appuyé sur l'encadrement de la porte, alors que de l'autre côté il y a du mouvement, de l'eau qui coule, des pas lourds. Le ventre d'Elda a cessé de s'arrondir il y a quinze jours : on le sait, les jours filent, et chaque heure rapproche les futurs parents de la rencontre avec le quatrième des morceaux de leur coeur. Et pourtant, aujourd'hui, il n'y a plus que les débris.

Les débris d'une histoire fragmentée, par des secrets qu'il regrette aujourd'hui d'avoir porté seul, le parfumeur, parce que lui dont l'odorat est si aiguisé aurait bien dû se douter que tôt ou tard, le pot aux roses fanerait, qu'il faudrait commencer à réfléchir, commencer à comprendre comment il pouvait l'aimer autant, la princesse de son jardin, sans pour autant réussir à lui offrir le soleil de relations intimes. Il n'y arrivait pas, il bloquait, et pourtant bien des fois il aurait voulu essayer, maladivement, rien que pour s'attirer quelques instants de répit, sans avoir à tout analyser, sans avoir à regretter. Elle mérite mieux, Aedan se l'était dit cent fois, peut-être même mille. Elda méritait mieux que ce simulacre de relation, tissé dans des secrets qu'il n'arrivait pas à démêler, parce qu'il ne comprenait pas. N'avait finalement compris, d'ailleurs, que ce soir-là, après avoir passé la soirée entre collègues dans un bar, quand il avait croisé le chemin de Kaely. Il avait demandé des nouvelles d'Elda, l'ancien coeur amouraché, et Aedan, sourire doux, lui avait confié ; la grossesse à venir, le divorce, et au fil des verres, s'était même mis à lui raconter leurs vraies difficultés, en lui épargnant l'absence totale de leur vie intime, se racontant à lui-même, habile menteur, que ça avait été comme des myosotis sur un chemin de montagne : rares, mais magnifiques. Kaely avait été prévenant, et la chaleur leur était montée aux joues ; le reste était un peu flou, toujours est-il qu'à l'aube, Eddy s'était réveillé la main sur les côtes de l'ancien amant de sa femme, et qu'il avait choisi de se rendormir, le corps relaxé, l'esprit libéré. C'était ça, la clef.
Aedan aimait les hommes.

Et sans doute aurait-il dû en parler plus tôt. Non, pas sans doute ; il aurait dû le faire, c'était une évidence. Ça aurait évité de cacher Kaely dans un placard dont on n'envisageait pour l'instant pas de le faire sortir, et pourtant Aedan connaissait la douleur de l'enfermement, la suffocation quand tout se déroule sans qu'on puisse intervenir ; sans qu'on nous laisse intervenir, ce devait être encore pire. Mais, ça aurait surtout évité ce qu'il se passe quand Elda ouvre la porte ; le visage paniqué, les traits déformés par la plus odieuse des trahisons, les yeux qui renvoient autant de larmes que de flammes, des geysers de lave, à n'en pas douter, et Aedan déglutit, difficilement, tente de contenir ses propres larmes, parce qu'il déteste savoir ce qu'il a fait d'Elda. Déteste se dire qu'il est la cause de ses souffrances, et même en cela, il se sent égoïste. Il hésite, quelques instants, garde la bouche ouverte dans le vide, dans un silence qui n'aurait rien à envier à une symphonie de violons mortuaires. C'est finalement Elda, qui fait résonner sa voix dans le couloir. Elda, dont l'intonation est si différente, Elda presque brisée, en un regard ; tout ça par sa faute à lui. Il baisse les yeux, un instant. Gamin pris en faute qui sait que la punition sera moins pire que les mots qui viendront avant ; gamin pris en faute, surtout, qui sait pertinemment qu'il a laissé de sa bêtise de lourdes cicatrices sur sa famille. "Je... Est-ce qu'on peut en parler à l'intérieur, Elda ?" D'abord, elle ne bouge pas. Il se dit au bout de quelques instants qu'il n'est pas tout à fait en position d'insister, pas tout à fait en position de dire s'ils devraient parler de son immonde fourberie dans un couloir, dans un café, dans un salon ou bien même au bord du monde. Il déglutit à nouveau, toujours aussi difficilement, sent que sa voix est un peu plus cassée qu'il ne le voudrait, et pourtant, il répond.

"Ça fait six mois. On s'est croisés un soir, quand je rentrais du travail, on a discuté, il voulait savoir comment tu allais, alors on a bu un verre et..." Inspiration profonde. Les yeux qui remontent jusqu'à croiser ceux, furieux, de l'amour trahi. Y voir les étincelles de son baiser de Judas. "De verre en verre, on a été plus loin dans la discussion, et il m'a fait comprendre que... J'aime les hommes, Elda. C'est pour ça que ça n'a jamais pu marcher, de ce côté-là. Et je sais pas, je..." Il passe une main dans ses cheveux, fronce les sourcils. "Les choses se sont faites, au fil des semaines et des mois, j'ai commencé à bien l'aimer, lui aussi, et... J'ai jamais pu te le dire, au départ je me rassurais, en pensant qu'il fallait attendre le bon moment, et puis j'ai compris qu'il n'y en aurait pas, et la grossesse a pris plus de place, la vie seul aussi et..." Aedan retient un sanglot ; il ne veut pas pleurer, pas après l'avoir bafouée. Il a du mal à soutenir leur combat de cils, du mal à rester debout, le dos droit ; figure de lamentation, sculpture d'argile qui ferait mieux de s'écrouler, par respect pour elle.

@Elda Sloane
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Elle se dresse Elda. Elle se dresse et elle ne compte pas bouger d'un coup alors qu'il la supplie presque de rentrer, de ne surtout pas faire d'esclandre. Elle en a rien à foutre que les voisins soient au courant. Au contraire, même, elle aimerait hurler pour les pousser à sortir sur le palier, pour suivre cette scène mesquine, partager ce cauchemar ambulant. C'est peut-être juste ça dans le fond. Un mauvais rêve de femme enceinte. Comment pourrait-il en être autrement ? Comment la personne qu'elle a le plus aimé sur cette terre, avec qui elle a élevé trois enfants, avec qui elle a partagé chacun de ses matins pendant une vingtaine d'années, comment cette même personne peut la trahir à ce point ? Ça ne peut pas être lui, ça ne peut pas être Aedan. Son mari n'est pas un homme cruel. Il est cette personne douce qui lui servait un verre de vin les soirs où il sentait qu'elle était tendue. Il est cette personne adorable qui fabriquait des parfums à l'odeur de sa fragrance. Il est cette personne attentionnée prêt à se sacrifier un peu en lui autorisant une relation extraconjugale pendant plus de dix ans. Il l'avait consolée quand tout avait éclaté avec Kaely. Pour mieux la poignarder dans son dos.
Alors elle se dresse, bras croisés, statues de pierre, vigile devant une boîte de nuit huppée. Avec son ventre, elle a l'impression de faire presque toute la largeur de sa porte. Qu'il se défende là ; à l'intérieur, il n'est plus le bienvenu.

Les mots tombent, peinent à se recomposer dans son cerveau. Six mois. 180 jours. Plusieurs milliers d'heures, sans même parler de secondes. Six putain de mois durant lesquels il s'est moqué d'elle. Une rencontre, des verres, Elda dressée en sujet comme on aurait amené du bétail sur la place publique avant ce l'abattre. Une balle entre les yeux, un bûcher déjà dressé. Elle a l'impression de sentir les flammes lécher ses chevilles alors qu'elle les imagine, les deux hommes qu'elle a aimé dans sa vie, partagé ces verres, ce bar, une main qui traîne et effleure une cuisse, des soupirs qui se perdent, les rires si caractéristiques qui s'entremêlent. Elle les voit arriver chez Kaely – elle connaît son appartement, son corps, tout, par cœur, elle n'a aucune peine à imaginer –, elle voit les vêtements qui tombent, l'attirance qui les lie. Chaque détail qui se dessine dans sa tête. Si Aedan a toujours été le nez de leur couple à l'odoratsi affuté, Elda a toujours été plus douée pour voir les couleurs et les traits prendre des formes dans sa tête. Alors tout se projette, cinéma maléfique qui envahit son esprit. Les vêtement qui tombent, les gestes hésitants d'abord, presque timide, et puis l'accélération, la jouissance. Elle les entend dans sa tête, elle les entend jouir.

– Six mois, répète-t-elle.

Six putain de mois qui tourbillonnent comme une plaie béante dans sa tête. Un sanglot l'étouffe et elle tente de redresser le menton, de garder un peu sa fierté, de ne pas s'écrouler alors que tout, absolument la piétine. Chuchotement furieux qui l'envahit, qui s'entrelace dans le silence du couloir jusqu'aux autres portes derrières lesquelles les voisins sont peut-être planqués, l'oreille collée au bois, l'œil accroché au judas.

– J'aurais été tellement heureuse pour toi. Sincèrement. De… de savoir que tu prenais du plaisir avec un autre, que… que tu avais trouvé le bonheur auprès de quelqu'un. Que… que cette personne soit un homme ou une femme, j'aurais été… été heureuse pour toi et cet autre. Mais sur les sept… milliards d'êtres humains que compte cette planète, tu as… tu as choisi la seule personne qui pouvait me briser. Tu l'as choisi lui, tu as couché avec, tu es tombé a…moureux et tu me l'as caché pendant six mois. Je pensais qu'il… restait quelque chose de nous, de… de notre amour… de notre ami… notre amitié. Mais tu m'as… trahie.

Son discours est haché par la douleur et les sanglots. Bouillie obscure qui court dans sa gorge, comme une marée noire qui a envahi sa trachée. Elle sert ses bras un peu plus fort, renifle bruyamment quand elle sent soudain quelque chose qui lâche. Une digue de magma poisseux qui se libère alors qu'entre ses jambes coule un liquide chaud.

Putain je… je viens de… de me pisser dessus.

Abasourdie elle ne réalise pas, trop anesthésiée par la douleur émotionnelle du déluge qui vient de lui tomber dessus. Elle ne comprend pas ce qui vient de se déchirer en elle, ce qui insiste pour sortir, comme si, déjà, il avait entendu ses parents et tentait vainement de se dresser en rempart entre leur colère.
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Devant lui, Aedan a le film qui brise les coeurs, la projection de toutes les pires peurs qui l'ont un jour enlacé la nuit. Elda est en tristesse haute couture, signée et griffonnée par Deimos lui même, et la fratrie mythologique toute entière se berce jusque dans ses cils ; la beauté, encore et toujours, Aphrodite réincarnée, celle dont Aedan était tombé follement amoureux, du velours des lippes jusqu'au grain de la peau, envoûté par les iris comme il ne l'aurait pas même été devant le plus exotique des jardins ; et puis, aujourd'hui, dans les yeux, il y a Arès et son char. Voiture infernale portée uniquement par les équidés de la colère, de la trahison, de la déception, et celui du dégoût, dont la robe fait frémir le père de famille. Il sait pourquoi il a mérité l'entièreté de ces émotions, il se sait avatar de la plus infâme des lames plantée entre les omoplates. Qui aurait pu croire que ce qui avait été un conte de fée aurait pu virer si intensément au mythe le plus brûlant, par la faute d'une romance aux pétales fleurissant tendrement ? Le bouquet, Aedan ne le tient pas dans ses mains, il ne peut pas le tendre, les fleurs seraient mortes aussitôt, et les courbures des traits d'Elda se trahissent toutes. Elle souffre, pas seulement entre les deux oreilles, les synapses tourmentés par des pensées-déflagrations, non, elle souffre aussi physiquement, le corps entier qui se penche, et pas seulement par la faute du ventre bien arrondi.

Il hésite à tendre une main, pendant quelques secondes, comme pour l'aider à se tenir droite, comme pour lui prouver qu'il reste cet homme qu'elle a aimé. Comme pour lui prouver qu'il demeure cet oiseau rare dont elle a mis au monde pas seulement trois oisillons mais tout un album de plumes irisées. Mais Aedan se retient ; il sait que ça aggraverait les choses, il sait que ses digitales deviendront brûlures sur la peau de celle qu'il a trahie par le secret. Il aurait sans doute dû lui en parler, lui dire dès le premier jour, dès la première envie d'un baiser, qu'il avait Kaely en tête, Kaely dans la peau, Kaely dans le coeur. Et elle aurait contesté, l'aurait évidemment invité à oublier, à passer à une autre silhouette, à une autre peau comme objet de gourmandise ; en cela, elle aurait sans doute eu raison. Aedan tordu à son tour, mais pour lui ce sont les sourcils, et il s'en veut d'avoir pu penser que la vie sans Kaely aurait été plus simple. Il s'en veut, car il trouve injuste cette idée, il s'en veut car il connaît la chaleur de leurs corps qui ronronnent, il connaît les sensations qui l'étreignent quand il est avec cet autre, il connaît tout de ce qui a rendu belles leurs initiales mélangées. Il s'en veut, enfin, et surtout, parce que Kaely est l'autre grande victime de cette sordide affaire. Kaely l'amant caché, Kaely l'amoureux secret, Kaely qu'on s'efforce d'oublier dès qu'il passe le pas de la porte.
À vouloir les aimer tous les deux, à persister à penser qu'il pouvait vivre dans leurs jardins mitoyens, celui de Kaely au sable fin, chaud comme l'était sa peau, celui d'Elda aux bosquets de rose insensés, aux pétales arc-en-ciel qui rendaient Iris elle-même jalouse ; à persister à penser qu'il pouvait passer d'une frontière à l'autre sans dommage, Aedan avait oublié que les roses fanaient toujours dans le désert, et que les grains de sable s'égaraient dans les ronces.

Elda pleure, et l'acide de ses mots reste doux, bien plus doux qu'il ne l'aurait voulu, quitte à s'enflammer sur le champ. Elle pleure et souffre, elle halète, elle soupire, et tous les sons se mélangent, tout devient flou quand elle lance une seule phrase. Aedan arrête de penser, quelques secondes. Il oublie la colère, la jalousie, la trahison, la culpabilité. Il n'y a plus qu'une seule personne qui puisse compter ; le petit occupant, à moins que ce ne soit une petite occupante, qui commence à appuyer sur la vessie de sa mère pour s'extirper de l'obscurité, découvrir la lumière, l'air, ses parents et ses frères et soeurs. Aedan tend la main, cette fois, la pose sur l'épaule d'Elda. "Tu perds les eaux." Il a la voix rauque, abîmée par les pleurs, Thétis de larmes, naïades chimériques qui étouffent tout le reste - au moins pour les prochaines heures. "Laisse-moi entrer. Je récupère la valise, ton manteau, et je t'emmène à la maternité." Les yeux qui brillent, lui aussi pleure, lui aussi a mis de côté cependant les lacrymales pour se consacrer uniquement à leur petit être qui fait frissonner et grimacer sa mère. "S'il te plaît. Je sais que je n'ai pas le droit d'exiger ça, Elda, mais..." Ils savaient tous les deux que c'était amené à arriver, ils étaient en pleine période du terme ; pourtant, aucun oracle n'aurait pu prévoir les heures précédant l'arrivée du quatrième enfant. "Il faut qu'on y aille. On en reparlera plus tard, notre enfant est plus important que tout le reste. Laisse-moi entrer, puis t'emmener. Les clefs de ta voiture sont dans ton manteau ?"

@Elda Sloane
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Elle est honnête dans ses mots. Même si, bien sûr, ça aurait fait un peu mal au début de voir celui qui reste l’amour de sa vie, enlacé les doigts d’une autre main, caresser du regard un sourire qui ne soit pas le sien, humer la délicatesse d’un autre parfum. Parce que la solitude reste un voile froid le soir sous les draps, et ça lui aurait rappelé un peu plus fort qu’elle est seule ; combien même le célibat n’est pas une fatalité et que ses enfants la comble, certains matins, lutter contre l’obscurité se fait plus délicat. Ça ne l’aurait pas empêchée de se réjouir pour celui qui a si longtemps été son mari, celui qui n’avait pas vraiment connu le plaisir du corps à ses côtés, sans qu’ils parviennent vraiment à se l’expliquer pendant trop longtemps. Elle avait baigné dans d’autres bras pendant de nombreuses années ; ce n’était que juste que ce soit son tour.
Pour les enfants, sûrement que tout ça aurait été un peu étrange à appréhender, au moins au début. Elle même n’était pas issue de parents séparés, alors il était difficile de se projeter, mais elle voyait bien comme leur séparation avait marqué Harry, combien même ils avaient tenté de tout faire en douceur et de priver leurs enfants le moins possible de la compagnie de l’autre parent. Pas de jugement déchirant, de garde arrachée, de coups bas pas derrière – pas jusqu’à aujourd’hui. Leur aîné, cependant, était plus boudeur depuis, répondant parfois à sa mère, se confiant moins qu’avant. Prémices d’une adolescence qu’elle redoutait. Une nouvelle relation d’un de ses parents signerait sans doute à ses yeux l’idée que, non, ils ne se remettraient jamais ensemble – et si cela avait été clair pour les adultes dès le moment où Aedan avait pris sa valise, ça l’était sûrement moins pour leurs enfants. Néanmoins, avec le temps tout finissait par passer.
Tout ? Pas vraiment, elle ne voit pas comment une telle trahison pourrait un jour s’apaiser dans son ressenti. Et ses sanglots et reniflements hurlent la même chose qu’elle : n’importe qui, mais pas lui. N’importe qui, mais pas Kaely.

La déchirure la submerge avec tant de force que sa vessie doit penser à un signal pour se relâcher. Jambes et joues trempées en plein milieu de l’appartement, son cerveau n’est plus vraiment prompt a analyser la situation. C’est la main d’Aedan – une main qui lui tire une frisson désagréable et qu’elle manque de rejeter – qui la ramène à la situation. Elle ne vient pas de se pisser dessus ; elle vient de perdre les os. Le genre de choses qui arrivent surtout dans les films ; pour ses précédentes grossesses, ça a toujours commencé par des contractions qui l’ont amenée à l’hôpital et c’est uniquement à ce moment qu’elle les a perdus. Alors ça la déstabilise. Ça la perd. C’est une tempête. Ça la dévaste.

– Je… je…

Elle est incapable de prendre les choses en main, parce que tout se mélange dans sa tête, de cette trahison qu’elle vient de découvrir à la douleur qui commence à s’engendrer en son sein. Le colosse qui barrait l’entrée se rabougrit et elle s’écarte imperceptiblement, assez pour laisser le champ libre au père.

– Je… heu… sur le meuble à chaussures…

Bien sûr qu’il a raison et que leur enfant à naître est plus important que tout le reste, que la colère et les émotions qui la traversent, mais son cerveau peine à compartimenter les choses, à distinguer la souffrance qui hante son cœur de celle qui s’attaque à lui broyer les entrailles. On pourrait croire que c’est facile après trois accouchements ; certes le corps se souvient, mais ça n’en reste pas moins un même travail de titan, une tâche qui serait impossible si la personne enceinte n’était pas droguée aux hormones. L’ocytocine qui s’infiltre dans les veines, dans la tête, elle n’a aucune idée de comment tout ça marche exactement, mais ça prend le relais pour la déconcentrer de sa colère et de tout ce qui rumine en elle. Comme un automate, Elda essuie la buée sous ses yeux et enfile son manteau pendant qu’Aedan va chercher sa valise. Elle serait bien incapable de se représenter le chemin dans sa tête ou tout ce qui a bien pu se passer, mais elle se retrouve dans l’ascenseur avant d’avoir vraiment compris comment, sans même savoir si elle a attraper le bras de son futur ex mari pour se traîner jusqu’à l’élévateur qui s’enfonce dans les tripes de l’immeuble, jusqu’au parking sous-terrain.
Dans la voiture elle sent les contractions, elle sent cette envie insidieuse de pousser, la douleur qui pulse et un nouveau sentiment ; la peur d’arriver trop tard, que le bébé pousse trop fort. Peur dilatée heureusement à la vue du bâtiment qui se dresse bientôt devant eux. Puis se sont les lumières, la chaise roulante, le lit qu’on tire, qui bascule, les cris. L’idée de repousser le père, de lui refuser l’accès à la chambre d’accouchement, de le priver de ce qu’il a déjà vécu par le passé avec leurs trois aînés, ne lui vient même pas. Si douce vengeance pourtant, mais sur ce point là au moins, il a raison. Le béé est tout ce qui compte. Pour tout le reste, on verra plus tard.[/i]
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Sur le meuble à chaussures, il les retrouve, les clefs, comme un objet de providence, comme la seule note juste dans toute cette foutue symphonie dissonante. Il n'a même pas à chercher trop longtemps ; si on dit que l'amour dure trois ans, le leur durerait une vie au moins, si Elda le laissait perdurer ; et même si la belle flamme entre eux venait à faner, il resterait les années passées. Les décennies, l'un à côté de l'autre, puis à trois, à quatre, à cinq ; les réveils par milliers, les ronflements par centaines, les rêves partagés, qu'ils soient éveillés ou amorphes. D'un battement de cils, il avait appris à conjuguer ses pensées, à terminer ses phrases quand elle tiquait sur un mot, ou quand lui se perdait dans de trop longues envolées lyriques. Ils se comprenaient, ces beaux oiseaux, gazouillaient les mêmes octaves, et puis malgré les brisures d'un mariage imparfait - ou du moins d'un mariage qui s'était comblé de drôles de manières - ils s'étaient aimés. S'étaient tant aimés qu'au delà des phrases que l'on terminait, au delà des pas que l'on reconnaissait, ils s'étaient connus ; comme on connaît un livre que l'on dévore, comme on sait à chaque page l'histoire suivante.

C'était une affaire d'instinct, une réminiscence de tout ce qui les avait un jour lié : Aedan n'avait pas eu de plan, pour l'appartement d'Elda, avait participé de son mieux au déménagement, y était venu quelques fois, mais n'avait jamais prêté attention aux détails. Pourtant, le meuble à chaussures est localisé en une demi-seconde ; les clefs le sont presque aussi rapidement, il s'en saisit, avance faiblement pour ne pas pousser Elda vers la sortie. Une valise à la main, la poignée qu'on glisse entre les dents, tant pis si on les déchausse, il ralentit ses pas et les accélère tout autant, perdu dans le rythme à suivre. On ne s'y habituait jamais vraiment. Quand la main d'Elda se pose sur son bras, celui qui tient la valise, Aedan se demande si elle appuie aussi fort sous les premières contractions, ou sous les peurs, ou si elle en rajoute pour se venger - une plaisanterie qu'il garde pour lui, problème de timing. En tout cas, peu importe la raison, il sent qu'Elda souffre, sans réussir à savoir si tout vient de l'accouchement à venir, ou si il y a un peu des fêlures qu'il a glissé en elle aussi. Dans un cas comme dans l'autre, il est sur le banc des accusés ; alors il baisse la tête, se montre prévenant, aussi doux que possible, cache le stress sous un calme olympien de circonstance. Comédien de pacotille qui épouse pour la quatrième fois le rôle de sa vie ; pas sur Broadway néanmoins qu'il fera carrière car le trajet est silencieux, rythmé uniquement des soupirs et des râles d'Elda. Leurs mains se sont séparées, lui regarde la route deux secondes sur cinq, et consacre les trois autres uniquement au profil de son épouse - pas encore ex-épouse, et pourtant jamais elle ne l'a été plus qu'aujourd'hui, sous le fil des trahisons.

Le trajet est presque du par coeur, quand on sort des boulevards ; presque du par coeur car par trois fois auparavant il l'avait vue haleter. Trois miracles, comme il les appelait, et souvent il se reprenait ; le miracle ne venait pas d'efforts, le miracle ne surgissait pas de souffrances. Le miracle, c'était les yeux de leur fils aîné, les tâches de rousseur de leur cadet, le sourire de leur dernière ; le miracle, c'était sans doute un peu de tout ça pour ce bébé à venir. Enfant tempête, bébé orage, il allait naître au pire chapitre du livre de ses parents, celui qui aurait bien pu pousser une âme à déchirer le bouquin entier en se demandant comment diable ! on pouvait foutre en l'air histoire pareille. Voiture qui se gare, bras prêté, pas un mot échangé, bien différent de la naissance d'Oscar, dans les rires qui tiraient les larmes, on avance, on brave le vent qui s'est levé, on s'engouffre à la lumière, un médecin accourt, et Aedan libère la main d'Elda, la laisse s'en aller, suit le chariot à pas rapides. On les conduit dans un couloir, puis dans une première salle, pour les examens de routine - ou du moins ça le devient à compter de la quatrième naissance. Le son, l'image, feuilleton qui se défile devant les yeux des parents. Aedan se surprend à murmurer un désolé, quand son téléphone vibre, l'abandonne avec son manteau sur un meuble du couloir, et tant pis s'ils disparaissent ; l'enjeu ici est plus important que toutes les étoffes. C'est une farandole de professionnels, c'est un ton calme, doux, apaisé, les questions posées à Elda, la fréquence des contractions, leur intensité, elle répond en grimaçant et aujourd'hui, bien que silencieux, soutien visuel qui n'ose pas s'approcher trop, de peur de déchaîner la foudre, même à un mètre d'Elda, pour une énième fois, Aedan aimerait être Atlas.
Pas porter le ciel entier sur ses épaules.
Mais au moins la voûte de ses souffrances à Elle.

@Elda Sloane
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Elle s’en rappelle avec une lucidité étonnante. Pas de la douleur, mais de tout ce qui a entouré l’accouchement de ses enfants. De la main d’Aden, surtout, qui n’avait jamais quitté la sienne alors que la déchirure vrillait ses entrailles. Il était ce qui l’enracinait encore, ce contact rassurant, en particulier lorsque tout était encore nouveau, tout était à découvrir. Les contractions qui faisaient sauter ses viscères, la longue attente du col qui n’en finissait plus de s’ouvrir, cette impression de ne plus maîtriser complètement son corps. Quand elle pensait à tous ces mammifères qui accouchaient en pleine nature, loin des péridurales, elle était incapable de se projeter à leur place. Surtout quand il leur fallait ensuite rester debout, être capable de fuir si es prédateurs s’approchaient, pouvoir protéger leur progéniture. Chez les humains, tout était si différent, à commencer par cette promotion à faire naître des enfants prématurés à cause de la station debout – elle se rappelait une fois avoir vu cette étude dans un documentaire, qui expliquait la dépendance des bébés humains quand tant d’autres étaient déjà capables de se tenir debout à peine les premières secondes de vie écoulées. Toutes ces douleurs, cependant, en valait la peine, balayées par les hormones et par la oie de cet être minuscule qui rejoindrait bientôt leur famille. Famille… rien que le terme lui tirait une grimace. Aujourd’hui Aedan était un peu plus loin dans la salle d’accouchement et Elda ne savait pas ce qui lui faisait le plus mal entre la douleur physique et la trahison qu’il venait de lui infligée. Au moins, la souffrance de l’accouchement finirait par s’évanouir dans les yeux de leur enfant ; tout le reste resterait gravé trop profondément pour pouvoir complètement avancer.

– Le col est bien ouvert, je vois la tête, il ne sera pas possible de faire une péridurale.

Elle ne sait pas si c’est une bonne ou une mauvaise nouvelle. Au moins cela veut dire que ça ne durera pas des heures ; mais également qu’il lui faudra tout ressentir. Et vu la situation, ce n’est peut-être pas plus mal pour lui faire un peu oublier sa matinée. À défaut de pouvoir s’ancrer dans une main, les doigts de la jeune mère s’enfonce dans les draps, comme si elle cherchait à les taillader jusqu’au sang, ou jusqu’au plume, plutôt. Puis soudain, elle n’y tient plus, l’impression de ne pas être capable de pouvoir réaliser ça toute seule, les contractions qui sont trop douloureuses, sa respiration qui s’égarent dans tous les sens. Elle a besoin ‘un ancrage et il est celui qui a suivi les cours de préparation à l’accouchement avec elle, celui qui l’a accompagnée dans trois autre naissance, le seul être ici capable de véritablement la calmer quoi que puisse dire ou faire le personnel hospitalier. Le cri la déchire un peu plus.

– Merde Aedan, viens là ! ordonne-t-elle avec difficulté.

Paume ouverte dans sa direction, prête à serrer la sienne jusqu’à la faire exploser. Et il n’a pas intérêt à se plaindre de quoi que ce soit. Après lui avoir brisé le cœur, elle s’estime en droit de casser chaque os de sa main sans entendre la moindre plainte de sa part. Surtout si c’est pour mettre leur enfant au monde.
Ainsi ancrée un peu plus à cette main qui la retient à la réalité, elle peut se concentrer sur sa respiration tandis que la tête passe le col. Le plus difficile est fait, bientôt ce sont les épaules qui apparaissent entre les mains de la sage femme, jusqu’à ce qu’un autre corps se retrouve à hurler dans la salle, testant ses poumons. Épuisée, Elda sait pourtant que le travail n’est pas complètement terminé, il y a encore le placenta à expulser, nouvelle injustice quand le père, lui, peut déjà se réjouir de prendre son enfant dans les bras alors qu’elle doit encore terminé ce qui a été initialisé, cette expulsion qui devient tout de suite beaucoup moins passionnante maintenant que le bébé est sorti.
Heureusement l’organe sort rapidement à son tour et la voilà libérée d’un poids bizarre, détachée de celui ou celle qui a grandi dans son ventre pendant neuf mois, qui a accompagné chacun de ses mouvements, chacune de ses respirations, chacune de ses joies ou de ses peines. Encore essoufflée, la mère cherche du regard cette partie d’elle qui est devenue une personne à part entière et qui repose désormais entre les bras de son père.

– C’est une fille ou un garçon ?

Le reste : la trahison, le gâteau qui éclabousse de chocolat le paillasson, les yeux de Kaely en la découvrant sur le palier d’Aedan, tout ça n’a plus d’importance. Pour le moment, en tout cas.
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