murder on the dancefloor (fitz)

On l'acclame, on le réclame. L'orage se déchaîne, la foule s'embourbe dans une boue qui les enlise, et pourtant le sol continue de vibrer. Les basses percutent les flaques, les font vrombir, et devant la scène, l'essaim est immense, il bourdonne, sans jamais s'arrêter. On applaudit, on crie, on pleure, on rit. Les téléphones filment, et depuis le rebord, on pourrait croire que l'ange déchu s'est écrasé à même la voûte, qu'il est porté par des constellations boudeuses d'un bord à l'autre. Les fans hurlent un peu plus fort quand l'idole les frôle, et le volume monte encore d'un cran quand il se redresse, torse offert à Sélène et à la sueur de l'effort, juste devant le guitariste. Une seconde et tout se fige.
Une seconde, et il bascule en arrière, dans une note qui balaie la vallée entière.
Une seconde, et il retombe sur les bras tendus pour l'accueillir, dans un éclat de rire.

Ce soir, Fitz vit. Il est adulé, il est adoré, et il ne pense qu'aux coeurs qui le réclament, qu'aux mains qu'il frappe au passage, qu'aux sourires qui se dessinent partout.
Ce soir, Fitz vit, et il vit en grand.


Il hausse un sourcil, le gamin, il est insolent. Il retrousse les lèvres, montre les dents, et celles-ci sont enrobées de chocolat : le saladier léché trône devant lui, comme un vestige de l'après-midi passée avec une mère curieusement silencieuse. "Tu n'y arriveras pas", elle le répète, elle a des larmes dans la voix, des trémolos dans les yeux. Les fenêtres sont ouvertes, le tonnerre grondera bientôt, on renifle le pétrichor des jours passés. Il a plu sans discontinuer, les mares ont envahi les rues, on ne sort presque plus.

Il a treize ans, Fitz, treize ans et il s'initie à la guitare dans le calme de sa chambre. La maison est silencieuse, les murs ne vibrent que des sons qui s'échappent de sa gratte. Sa mère grince des dents, son père tousse un peu plus fort. Comme pour qu'on ne les oublie pas. Ils ne le soutiennent pas, pire, ils ne l'encouragent pas. Il n'a le droit qu'à la pluie sur les joues, qu'aux regards circonspects. Fitzgerald vient d'ouvrir son groupe de rock, au lycée, et il joue de tout : des morceaux glanés des Eagles, les Doors, les Beatles parfois, et souvent du plus underground encore. Il adule les célébrités sur les posters rangés sous son lit, par peur qu'un parent les arrache, aime leur majeur dressé, le regard rebelle, les mèches colorés, tout ce qui les fait se défier du regard de la société.

Il vieillit. Sa voix s'échauffe, elle provoque le soupir d'une fille, d'abord, puis d'un garçon. Il ne s'attache pas, contrairement à ses cheveux, et ça désespère sa mère, qui lui dit qu'il aurait dû attendre le mariage, au moins par respect pour les traditions. Il lève les yeux au ciel, commence à les farder, à les dessiner aussi, par mesure de provocation surtout. Son style provoque des rires, au lycée, et aussi de l'admiration. Fitz est charismatique, déjà, et on l'adule comme un petit dieu lâché sur un foutu autel délabré.

Il vieillit, encore. Cette fois, les muscles se dessinent, il fait du sport, pour se vider la tête, oublier les reproches qui continuent de se faire légion de sa famille entière. Personne ne comprend, personne ne veut comprendre ; alors il se défoule, il se bute aux joggings nocturnes, et aussi un peu trop à la drogue. Il n'y avait jamais goûté, avant un soir d'été ; le même soir où il a goûté les lèvres et la peau de sa co-star, le même soir où le groupe s'est dissous dans une engueulade qui a tout ravagé, sous un sunset tourmenté.

Fitz a vieilli, finalement. Il n'y croyait pas trop lui-même. Pourtant, il est là ; cinq albums sortis en studio, soit presque un tous les deux, trois ans, et il cartonne. Les vinyles collector, les tapis rouges, les soirées de festival ; on le réclame partout, jusqu'aux night shows qui saisissent la grande ville de New York. Il y a posé ses valises, un soir. A fait de la musique dans la rue, comme un spectacle éphémère né du bitume seulement, et ça a attiré du monde, Times Square s'était vidé pour cette petite allée bétonnée le long de Central Park. Fitz est un phénomène, on le regarde, on le désire, il envoûte, il crée jalousie et indignation. Jamais tout à fait correct. Pourtant, toujours dans le mille. Son dernier album est sorti il y a un an, et les chiffres ont à peine diminué, pourtant Fitz est persuadé d'être dans le coup, quand il ne les fait pas d'un soir, et il continue d'y croire.
Parce que, si, maman, j'y suis arrivé.