J'éclaire le chemin des autres, là où je trébuche - Dawn Jilian

Il n'est pas anodin de dormir entre ces 4 murs... il n'est pas anodin d'écouter les pleurs de ces femmes dans le couloir, les plaintes de souffrance de certaines, ou les soupirs des autres. Etrangement, je me sens plus en sécurité dans cette cellule, que je l'ai été tout le temps qu'a duré mon relation avec lui. Assise, les genoux contre ma poitrine, j'écoute ces femmes, raconter sans mot, les maux de leurs êtres, elles ont tuées volontairement ou non, été victimes de la vie, et sont enfermées ici. J'ai quand même peur, de finir mes jours ici... et je ne dors plus depuis ce matin là.

Je me souviens avoir porté l'arme dans mes mains, elle était lourde cette arme pour une arme de poing. La veille il m'avait projeté avec fureur contre un mur du salon, de son genou, avant de rire et me dire que j'étais la cause de cette violence sur moi. Imaginez le tableau, je suis psychiatre depuis 10 ans et mon expertise n'était pas remise en cause, j'ai aidé beaucoup de gens, beaucoup de femmes abusées par les hommes... et je me retrouvais victime, sourde aux appels, aveugle aux agissements, les mêmes qui m'auraient sans doute guidé vers un psychiatre. Au milieu de la nuit, il a collé le canon de cette arme entre mes dents et mes lèvres, pour me faire comprendre que ma vie lui était égale, que jamais je ne sortirais vivante de ça.

Je me suis toujours demandée, combien de fois, combien de temps, peut on violer l'esprit et le corps d'une personne, avant que la corde ne rompe ? C'était une question, que je m'étais posée en tant que praticienne, de mes études, de mes patients et patientes, sans avoir la réponse. A chacun sa vérité propre, son seuil de tolérance. Je n'aurais pas fait de mal à quiconque, jamais de ma vie, je n'aurais jamais osé pointer une arme sur autrui, et pourtant ce matin là, je lui ai collé le canon de l'arme sur la tempe, pleurant encore... pour finir par presser la détente.

Un coup, un coup seulement, une petite et insignifiante balle de métal, qui avait traversé le crâne de mon fiancé, pour mettre un terme à sa vie. Il n'en fallut pas plus, et je suis restée prostrée sur le sol de la chambre, à le regarder saigner, choquée de ma propre violence. C'est ça le constat, c'est ça le souvenir qui ne veut pas quitter mon esprit, depuis que je me suis rendue et que j'ai été mise en prison en attente de mon procès. Je suis enfermée dans une cellule pas plus grande qu'un studio d'étudiant, avec une autre co détenue qui ronfle.

Et le jour suivant, je suis interrogée par un homme, il me dit être légiste, qu'il a examiné le corps de mon mari mort, et m'informe qu'il était mort avant mon acte. J'ai du mal à réaliser, mon bourreau était mort d'un AVC dans la nuit, et j'avais tiré donc sur son corps mort... Je pleure, je pleure encore et m'excuse devant l'homme, parce que je ne sais pas si ce sont des larmes de joie ou de peur. Est ce que le bilan est recevable ? J'ai quand même tiré sur quelqu'un... je ne connais pas assez la loi, mais je me doute que la légitime défense sera l'argument de mon avocate. Je pense que je n'aurais pas d'autres aides possibles, et puis finalement, cet homme, ce Mortimer a l'air de vouloir m'aider, de vouloir comprendre lui aussi, et nous échangeons de nombreuses fois, de nombreuses heures, sur ce qui m'a conduite à cet acte dramatique.

Au procès, je suis réservée, pleine d'humilité et de repentance, parce que ce ne sont pas des récits que j'ai envie de relater encore et encore. Je parle pourtant de mon ex compagnon, avec une certaine tendresse, puisque notre début d'histoire n'était pas si sombre... et vient le moment où Mortimer est appelé à la barre, il répond aux questions avec une profonde gentillesse et bienveillance, je le trouve lumineux et protecteur en cet instant. De quoi agiter le drapeau rouge de la méfiance en moi... Le verdict est rendu, et je fonds en larmes encore une fois, je suis jugée non coupable, l'avocate me prend dans ses bras et je la remercie. Et puis, je regarde Mortimer, qui est debout, plus loin et qui me regarde.

La lumière jaillit de nouveau... que vais-je faire de cette nouvelle chance ?

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