(( trouble usually finds me ))

(( j'suis dépassé par le temps, j'ai besoin de prendre l'air )) poupon aux joues rosées et aux yeux pétillants, être fragile qui n'attend que d'être délicatement bercée, l'innocence qui dégouline jusqu'au bout de ses petits doigts frêles, elle hurle dans la pièce une chaude nuit d'été. même le soleil ne l'accueille pas, esquisse d'un avenir sombre qui ne tarde pas à lui ouvrir les bras. les années qui défilent ne l'épargnent pas et même si elle se mure dans le silence pour se protéger, elle reste une spectatrice impuissante de l'éclatement d'un foyer inexistant. ce père qui décide qu'elle ne vaut pas la peine qu'il reste, cette mère au regard livide une fois la poudre ingérée, qui laisse des inconnus salir ses draps après avoir emmené sa gamine chez la voisine. l'on s'interroge alors, que va être son avenir alors que ses racines sont pourries, est-ce que la fleur va faner ?

(( j'deviens l'ennemi d'ma raison, j'deviens l'ami d'mes pulsions )) âme en perdition, la poupée comprend très vite que la seule personne qui peut l'arracher à ses tourments, c'est elle-même. c'est à peine si elle se laisse le temps d'expirer, tenant en apnée alors qu'elle tente de garder un certain équilibre. livreuse, serveuse, vendeuse, elle retrousse ses manches pour gagner en indépendance à l'aube de ses dix-sept ans. palier les négligences maternelles est tout ce qui lui reste à faire pour survivre dans ce monde impitoyable. d'ailleurs, une fois la majorité atteinte, la douce s'envole avec ses maigres économies pour se construire, seule, loin des constantes remontrances d'une mère qui finira détruite par sa consommation. jezabel, elle est sa propre famille à présent, à part elle-même, elle n'a personne et c'est pas plus mal, du moins, c'est ce qu'elle croit.

(( au bout d'mes lèvres, les mots m'attendent, ils se serrent mais jamais n'tombent )) ce n'est que là, assise sur le rebord de sa fenêtre, qu'elle arrive à être celle qu'elle est réellement. crise d'une identité qu'elle n'arrive pas à définir, elle se questionne sur la raison de son existence et sur cette loterie qu'est la vie. pourquoi n'avait-elle pas pu poursuivre ses études, pourquoi devait-elle vivre dans ce taudis alors qu'elle ne rêve que de légèreté et de ces douces couleurs qu'elle voudrait voir dans son ciel si noir. elle tourne les pages, une à une, délicatement, plongée dans ce monde où seul son imaginaire subsiste. petite impertinente qu'elle est, elle fabule même en s'illustrant à la place de catherine earnshaw, d'elinor dashwood, de chloé de l'écume des jours ou encore de jane eyre, protagonistes de fiction qu'elle envie. lire est une échappatoire délectable qui lui donne un semblant d'espoir, celui qui résonne dans sa tête et lui fait croire que peut-être, un jour, ce sera son tour d'être le personnage principal d'une belle histoire.

(( je me nourris de distance pour sentir mon existence )) amante d'une solitude qui la suit d'aussi près que son ombre, elle parvient à se faire une petite place dans la société, d'abord à la lumière du jour, par le biais de tasses de café et de photocopies lorsque ce n'est pas pour répondre au téléphone puis, dans l'ombre, lorsque cette proposition alléchante brille sous ses perles noisette. n'était-ce pas sa destinée en fin de compte, de n'être qu'une ampoule qui grésille jusqu'à s'éteindre complètement en restant en permanence dans la pénombre ? avoir une part de responsabilité dans l'empoisonnement de ces êtres avides d'évasion est source de satisfaction, elle possède comme un pouvoir sur eux et s'en délecte sans aucune honte. étoile de la nuit, elle a enfin l'impression de vivre et de laisser ses expressions maussades derrière elle, sa douceur n'est qu'un subterfuge pour mieux sortir le poing. une élocution lacérérée qui provoque et un sourire malicieux collé à ses lèvres, elle agace, envoûte, excède et fascine. la poupée aussi, peut décider de fuir sa réalité lorsque tout devient trop lourd à enfouir et c'est avec grâce que la poudreuse dilate ses pupilles et accélère son rythme cardiaque.

(( j'ai besoin de me distraire mais j'suis au fond de l'enfer )) mais ça ne suffit pas à satisfaire la soif d'aventure de la poupée qui retourne auprès de ses démons une fois qu'elle redescend, elle a besoin de plus, quelque chose de plus fort qui va la faire vibrer. et comme si ses lamentations étaient devenues une prière, voilà cette belle créature qui croise sa route et lui ouvre cette porte close, comme un fruit défendu. la voilà qui trempe ses lèvres dans un champagne hors de prix, qui arpente les boutiques de luxe et qui s'endort confortablement sur des oreillers à mémoire de forme. la poupée brille sous cette identité montée de toutes pièces, comme si elle écrivait son propre roman, s'octroyant la place de ce personnage antinomique à sa réalité. pauvre enfant se pense en sécurité alors qu'elle ne se dupe qu'elle-même, elle ne sait pas qu'à trop jouer, elle risque de se brûler les ailes.