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— agnus dei

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Nocturne se déballe tout autour, enveloppe de nuit la toison dans son dernier dégradé d'orange violet.
Des cirrus subsistent. Dentelles de nuages étirées au-dessus des strates, elles-mêmes percées de buildings comme autant de dents irrégulières. Le béton menaçant s'élève dans la voute céleste, mille yeux jaunes qui clignotent par intermittence. On ne sait pas trop dire si dans le ciel il s'agit d'étoiles ou d'engins pilotés à distance. On ne sait plus vraiment. On y voit clair comme en plein jour.
Suspendu en haut d'un gratte-ciel, talons juchés à même la bordure, la nuque de Lukas se penche au sein du vide vertigineux. Puits de lumière inversé. Dorures vers le bas. Bleu minuit en haut. Son survêtement imperméable refermé jusqu'au menton ne dévoile rien d'autre que la peau de son visage. Chaleur paresseuse qui irradie sous les boucles et la casquette.
Le vent semble comme jaillir du contrebas, fait remonter avec lui l'écho des bagnoles, le piétinement de la masse grouillante, l'aboiement des chiens errants. On entend la cohue au loin comme un vieux film en train de livrer sa dernière pellicule.
Pieds dans le vide.
Bouteille de verre posée à sa droite. Paquet de clopes se froisse à l'intérieur de sa poche. Trous partout. Briquet quelque part. Il fouille à l'aveugle. Flirte avec la toile de son manteau dans ce glissement distinct. Creuse au milieu des miettes et des cents rouillés. Sent la fiole de gaz s'agiter. Entre ses lèvres il coince le bâtonnent. Amorce l'étincelle.
Cumulus de fumée se déploie. Fuite entre ses commissures distraites. Il a les pattes qui se balancent dans le vide comme ces gamins sur la balançoire. À ne jamais savoir à quel moment ils toucheront le sol.
Aperçoit le lacet mal fait. Pompe qui commence à glisser de la cheville.
Un sourire de conquérant s'aligne à ses badigoinces.
Oh oui.
Glisse donc.
Tombe.
Cogne la tête de quelqu'un.
Fais-moi commettre un meurtre.

Les épaules remuent sous un rire muet.
Bouteille de verre posée à sa droite. Il n'y a pas touché. Pourtant le goulot est décapsulé.
Deux doigts récupèrent le cylindre, une jambe remontée vers son poitrail.
Son sourire s'est évaporé depuis.
Il observe deux silhouettes derrière un carreau du bâtiment d'en face. S'imagine si c'est une dispute ou bien autre chose.
Soufflement de nez.

- Et toi, je me demande ce que tu aurais pensé. Bagarre... Ou amour qui s'ignore.
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Les ombres chinoises se bousculent derrière le volet duquel se diffuse une lumière jaune opaque. Peter Pan et Wendy devenus adultes, en ont marre de devoir gérer leurs enfants perdus. C'est qu'ils en ont eu du temps pour se démultiplier dans leur cabane suspendue en hauteur. À moins que ce ne soient les pirates qui aient faits des ravages. Dans le fond, qui sait ce qu'il s'est réellement passé dans leur arbre-monde.
(Moi, j'aurais été un pirate.)
Un bandit, un forban. Un de ces brigands à l'œil abîmé, dissimulé, l'épée courbée glissée sous la ceinture en tissu violet.
Ils y jouaient à la guerre, prenaient le lit pour navire, le parquet pour crocodiles. Parfois, les couteaux se changeaient en revolvers du bout de leurs deux doigts unis. Ils hurlaient comme des enfants sauvages, tintamarre sous les draps montés en tentes. L'écho de leurs plus grandes batailles faisait fuir les chats, ennuyaient les voisins dessous. Pans de murs morcelés, vernis écaillé. Tapisserie qui tombe. Vesper, il l'aidait à déchirer ces toisons affreuses et serties de fleurs dangereuses comme autant de plantes carnivores.
Qui aurait pu les punir ? Qui serait venu les chasser. Ils étaient maîtres. Ils étaient deux. Ils étaient cent. Ils étaient unis. Ils étaient, tout simplement.
(Nous étions les gamins infernaux, la vermine des autres.
La crasse dans l'œil, l'écharde sous la plante des pieds.)
C'était leur terrain de jeu. Jungle de béton. Jeunesse dégarnie qui ignore ceux aux jambes trop longues.
Pour Lukas, c'était une manière de faire la guerre à sa famille qui criait toujours trop fort. Et pour Vesper... Pour Vesper, qu'est-ce que ça pouvait bien vouloir dire ?
Plusieurs fois en observant ce sol mouvant, fourmilière humaine, il s'est imaginé retrouver ce regard en amandes. Cette crinière noire effrontée. Ces genoux toujours esquintés à force de surmonter les grillages. Ils faisaient ça ensemble. Bondissaient de capot en capot. Perdaient les cols bleus dans l'immensité des artères new yorkaises. C'était un jeu, et il n'y avait pas de règles. Si l'un d'entre eux mourrait, l'autre ne devait pas s'arrêter. C'était comme ça.
Finalement, lui aura disparu. Emporté par on ne sait quel zéphyr, bien loin d'ici. Un endroit où le soleil atteint peut-être la terre. Un lieu sans lames de béton. Des routes de désert et de sable blanc. Un chemin tapissé de verdure, forêt de conifères, bleu céleste et frissonnement d'une nature exaltée. On ne connaît pas de pareil spectacle dans le Bronx. Lukas ignore même jusqu'à quoi peut bien ressembler une canopée sous le soleil d'été.
Le spectre de ce qu'il croit être une illusion se rapproche. Lentement. Pas à pas. Jusqu'à même s'installer à ses côtés. Lukas, il entend. Il sent, même. Puis il voit. Il voit. Il n'est pas bien sûr.
(Il ressemble à mon frère.)
Celui-ci est plus âgé. Toujours aussi écorché. Il n'imagine pas son frangin avoir la peau immaculée sans au moins une ecchymose quelque part dans le creux de l'orbite. Ou alors, une de ces morsures qu'ils avaient l'habitude de partager avant et après le coucher. C'était comme ça. La nature a bâti en ces êtres deux bêtes sacrées qui ont toujours voltigé ensemble sur ces toisons immenses et bétonnées.
Son jumeau du bitume. Trône partagé. Trône solitaire, pendant plusieurs années. Pris la fuite, on ne sait où. Il s'est demandé, de nombreuses fois. Où est passé mon frère. Où est passée cette partie de moi. On me l'a prise. On me l'a volée.
Il ne restait rien de lui. Des vêtements qui ont gardé son odeur un temps, avant de s'évaporer complètement. Des pommes croquées, imprimées de la marque de sa mâchoire. Pourries, elles aussi. Et un souvenir, puissant, profondément ancré. Le genre de souvenir à la fois étrange et impérissable. Au plus on y pense, au plus les détails se précisent, au plus la vue d'ensemble s'atténue.
Amour et guerre vont de paires.
Il écoute. Tend l'oreille. Chat noir attentif, surveille l'inconnu qui vient de s'inviter. N'est toujours pas sûr de cette fragrance nouvelle, vent frais qui emporte avec lui jusqu'à la fumée de tabac. À moins que ce ne soit autre chose qui rougeoie à l'intérieur du papier roulé.
Godasses suspendues à ses côtés. On sent même la lourdeur de la semelle peser dans ce néant illuminé.
Il voit, Lukas. On peut même dire, à la façon dont ses yeux se plissent, qu'il regarde. Il vient même approcher un peu le bout de sa pompe. Basket noire. Délacée, forcément.
La bouteille attrapée. Lichée volée. Ça aussi, il regarde. Comme si c'était un spectacle tout à fait extraordinaire.

- Quand ça explose.

Il répète.

- Tu crois qu'ils ont sorti la carabine ? La machette ? Et si on se prenait une balle perdue ? Là, en pleine épaule. Moi, je coule, je tombe. Je m'éclate au sol. Et toi, tu viens me récupérer pour me faire remonter sur le navire, comme à l'époque. Tu pansais mes blessures avec des t-shirts déglingués.

N'a toujours pas regardé droit dans les yeux.
Pense simplement au mirage. Son propre désert intérieur. Fixe toujours le carreau jaune. Souffle le nuage de poison blanc. Et au beau milieu de l'incartade amoureuse et muette.

- T'as l'air si vrai ce soir.

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Le rire éclate et résonne.
C'est presque une preuve convaincante que le spectre a la chair bien accrochée sur la peau et que les doigts de Mankiewicz ne rencontreront pas le vide s'ils s'essayaient à une tentative de heurt.
Presque.
Nombre de fois qu'il t'a aperçu à travers les volutes de fumée. Nombre de fois qu'il s'imaginait t'entendre encore fouler le béton armé avec tes pompes trop lourdes. C'était toi et pas un autre. Alors, où est-ce que tu es passé, ces cinq dernières années ? Disparu tout à coup.
(Il y avait encore la forme du creux causé par ton poids, là, au milieu du matelas.)
Et rien d'autre. Il palpait sous la couverture, à peine réveillé au matin, à se dire qu'il allait bien finir par la rencontrer, cette peau toujours trop froide. Ces cheveux toujours trop longs. Et non, c'était comme s'il n'y avait jamais rien eu. Il s'est senti arraché à quelque chose. Tellement qu'il n'a pas su avoir mal. Tellement qu'il n'a pas eu les larmes pour te pleurer. Un vide en remplace un autre. Fatalement, c'est le mépris qui a fini par verser à l'intérieur de ce néant.
(T'es parti comme un putain de bâtard.)
Il y a un peu l'envie de lui foutre un coup de poing dans la gueule, à ce fantôme.
Semelles l'une sur l'autre. Soulève le cuir déglingué. Fait du pied indécemment, comme ils s'aimaient à le faire à la table de restaurant misérable, chandelle fondue et éclaboussures de sauce tomate sur la nappe en motif vichy. Clochard et clochard, mais pas de Belle.

Pan.
Pan dans la rotule. Il y a même ce petit impact de balle qui vibre au-dessus de son survêt. Il s'est renseigné, Lukas. Contrairement à ce qu'ils nous montrent dans les films, une balle de plomb qui transperce la peau ne fait pas systématiquement reculer. C'est même rarement le cas. Le corps saigne en silence. Chair écartée. Cascade rouge qui coule. Imbibe le t-shirt blanc sous la toile noire. Il baisse les yeux, aperçoit le cratère mortel. Picotement sous l'épiderme, ça brûle. Putain que ça brûle.
La chute. Son dos épouse le sol humide, épine dorsale qui échoue contre le gravier. Le couvre-chef se déloge des boucles, roule plus loin.
Il se sent à peine tomber, en vérité. C'est comme rentrer à la maison et se laisser avachir dans le canapé. Il y a cette fraction de seconde où le souffle se coupe. Où les poumons gonflent. Et puis, crèvent dans un long soupir. La douleur d'avoir été fusillé par son propre frère. Par toi.
Ses yeux restent ouverts. Fixent paresseusement la toison nocturne. En fait, on ne voit aucune étoile, d'ici. Toute la pollution et les lumières étincelantes de New York empêchent de reconnaître où est la constellation en casserole. Ils étaient si forts pour l'identifier au beau milieu du fog américain.
La voix de... La voix de... Vesper... résonne. On a un blessé. C'est un peu lointain, ça aussi. Un autre écho. Et puis celui d'une déchirure -- pas sa peau, cette fois. C'est le pan de tissu arraché pour le faire devenir compresse sur l'hémorragie factice. Pourtant, il la sent comme si le shrapnel s'était déjà logé jusqu'à l'omoplate.

- Tu te souviens. On avait fait un pacte de sang. Et on a été trop cons, on l'a fait avec un canif émoussé. On aurait pu choper un gros cancer.

Le poids s'alourdit sur son bassin.
Son odeur... Un mélange de soufre. De pomme. De doucereuse et lente érosion.
(Tu es vraiment là ? C'est vraiment toi ?)
Je suis là frangin. Rentré.
Les mains lui encadrent le visage.
(Les spectres ils font ça aussi ? Dingue putain.)

- T'es là... T'es rentré. T'étais où ? Okay... J'suis sûr que t'as trouvé une autre île à aborder. Pourquoi tu m'as pas dit ? J'aurais jeté l'ancre. Pour toi.

Pendant un instant, on peut voir le bout de ses doigts s'agiter, comme mus par un désir de s'élever. De saisir les poignets du frère, et de constater à quel point ils sont bel et bien là.
(Ce parfum. Ce parfum-là très exactement. Même eau de toilette de clébard perdu.)
Quand l'autre se retire, Lukas se redresse. Il tend le bras, non pas pour empêcher le fantôme de repartir encore ou bien de sauter dans le vide, mais pour aller chercher la casquette, tout simplement.

- C'est la même que depuis la fois dernière, t'sais.

Qu'il dit, comme si on pouvait bien voir le tissu effiloché sur la visière, le scratch qui n'agrippe même plus vraiment la lanière, et puis la broderie aux fils bouffés. C'était une date, c'était un symbole.

- Te fous pas de ma gueule, je t'ai pas manqué.

Son ton se fait plus sec. On peut même y sentir poindre une teinte de rancœur.
C'est quand Lukas lève les yeux et confronte enfin ceux de Vesper qu'on s'aperçoit que ses sourcils se sont depuis froncés.

- T'aurais regardé derrière toi sinon. Une fois ou deux. Jamais. Rien. Pas un signe. Pas un message. Même pas un va t'faire foutre. Toi qui étais pro pour ça.

Non, tu m'as rien laissé pour te haïr assez fort.

- Alors, qu'est-ce qui s'est passé pour que tu rebrousses chemin ? Un autre connard, encore plus connard que toi te l'a faite à l'envers, j'parie.

Retrousse les babines, crochets remplis de venin. La casquette qui passe dynamiquement d'une main à l'autre, comme un projectile qu'on s'apprête à balancer tout droit.
Et puis, finalement, cet air de défi qui rougeoie au fond de ses pupilles à la couleur sang de bœuf.
Allez, raconte un peu Lazarus. Qui a réussi à te faire revenir la queue entre les jambes.

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Vieux frère, on va s'casser de ce tunnel.
Frère.
Le mot n'a plus aucun sens désormais. Et c'était pas juste une question de se mélanger le sang au tétanos. C'était pas une question de sortir du même vagin. C'était pas question de partager le même nom sur les papiers.
C'était autre chose.
Aujourd'hui il sait plus vraiment dire. Peut-être même qu'il a jamais su. Dire les choses ça a jamais été son truc. Ni celui de Vesper. Ni celui de personne qui soit capable d'aimer sincèrement. En fait, les vrais sentiments n'ont pas de mots réels et suffisamment puissants pour les décrire. Voilà ce qu'est l'amour. C'est être incapable d'évoquer sa force tant elle est prégnante.
Maintenant tout ça n'a plus vraiment d'intérêt. Il s'est barré c'est tout. Alors quoi ? On fait le deuil tout simplement. Tout simplement...
Syndrome du jumeau perdu. Celui qui reste, celui qui survécu aura la malédiction de ressentir ce fragment manquant toute sa vie. Alors ça si c'est pas un gros fuck dans sa gueule.
(Tu sais que j'ai évité de saigner du mieux possible toutes ces années sale bâtard)
(J'ai fait pour que tu restes, que tu me restes sous la peau)
(Pour pas que tu partes)
(Mais t'étais déjà si loin)
La balafre dans le secret de son poing fermé. Oh oui qu'il serre. Oh oui que ses griffes se plantent à l'épiderme où remuent les collines de ses lignes de vie.
Il aurait préféré guérir. Ne plus voir l'estafilade. Ne plus se rappeler du couteau ébouillanté et du caillot de sang. Remonter le chemin de fer comme on rembobine un vieux film. Répliquer tout de suite que c'était une idée de merde. Pas de stadium, pas de bouteilles éclatées en fin de soirée. Ils ont fini en cabrioles dans la décharge à compter toutes les voitures bleues. Se dire que l'une d'elles serait leur ticket de sortie de cette ville nécrosée. Une bronx aux poumons-cratères.
Couvre-chef subtilisé, recouvre la crinière noire et souple.
Elle lui va toujours aussi bien et ça lui arracherait un bras de l'avouer.
Putain d'orgueil. Putain de panthère. Putain de carcan dans la gorge. Tous les mots, toutes les vérités s'y bousculent, pressés de regret, pressés d'amertume. Une rouille vieille de cinq ans. Pour lui qui passe ses journées les mains plongées dans la carcasse des bagnoles, il sait combien cette saloperie qui bouffe la ferraille est meurtrière. Véhicule rongé, véhicule qui ne roulera plus jamais. S'tabasse les cordes vocales à coups de clopes et d'alcool. Perdre la capacité d'articuler les mots francs. Baragouiner des absurdités, éviter de repenser à hier.
Et même du temps où ils étaient deux, se fixer yeux dans les yeux trop longtemps commençait à prendre une tournure trop compliquée pour lui qui ne savait pas d'où venait ce feu au ventre au moment de le regarder.
Je.
Vesper entame la longue litanie censée lui faire ressentir le pardon, le regret, la compréhension.
Aucune de ces trois choses ne lui vient.
J'ai pas pu te prévenir.
(Ah non ?)
(C'est marrant)
(Je jurerais que tu dormais à côté de moi au moment où tu t'es envolé)
(La fenêtre était trop grande c'est ça)
Manqué connard.
Au plus le fugitif avance dans ses aveux, au plus le frère abandonné sent poindre les relents d'une colère silencieuse sous le pli de ses lèvres pincées. Son regard se voile d'obscurité. À moins que ce ne soit la nuit qui prend de plus en plus d'ampleur dans la toison.
Il balance sa clope. Lukas en suit naturellement la trajectoire, avant de revenir sur le sujet de sa rancœur. Des veines bleues sont apparues sur le dos de ses mains. Remontent le long de ses bras, plus musclés qu'il n'y paraît sous le survêt bien fermé.
Bruine qui tombe. Gouttes s'écrasent et se plantent à leur peau comme un millier d'aiguilles. Sans casquette pour se couvrir le crâne, Lukas sent le ciel s'infiltrer au milieu de ses crins bruns.
Il fait un pas. Deux, même. Trois. La distance se réduit. Jusqu'à ce qu'il atteigne Vesper juché sur la bordure. Si proche du vide. Au moment où la paume ouverte de Lukas se pose contre le poitrail du frangin, Peter et Wendy, de leur carreau lointain, pourraient sûrement croire qu'une tentative d'assassinat est sur le point d'avoir lieu.
Sa main exécute une faible pression. Aussi minime soit-elle, elle est suffisante pour atteindre les battements de cœur de Vesper. Tout comme le rythme de son tambour se transmet lui-même au creux de sa main. De ça aussi, Lukas se souvient.

- J'ai envie de te croire.

C'est murmuré si bas que la pluie l'aura sans doute emporté avec elle.

- Cinq ans. C'est pas si long normalement. J'me rappelle même pas de ce qui s'est passé hier. De qui j'étais avant d'te connaître. Mais alors cinq ans...

Il aimerait lui dire plus que ça, mais il sait pas comment.
Son timbre se ourle dans un gloussement presque trop cinglant pour que ce ne soit que du sarcasme.

- Wooow... J'pensais pas que ça allait être si dur à vivre putain. Hé, j'espère que t'as passé du bon temps au moins ?

Dehors, ça devait être magnifique.
J'aurais aimé être là, tu sais.

- Je crois pas avoir tué qui qu'ce soit jusqu'à maintenant. Mais donne-moi une bonne raison de pas te balancer dans le vide. T'étais très fort pour te rattraper, j'me souviens. Mais d'ici, tu vois, moi j'pense que les bagnoles en auront rien à foutre d'un corps qui s'éclate.

La pluie, elle tombe, et personne n'en a rien à foutre. Alors quarante-cinq litres d'un corps humain.
Ses yeux se redressent. Tombent dans ceux de Vesper comme une chute de pierres.
On ne peut pas voir. Que ce soit à cause de l'averse. De la colère. Que ce soit à cause du bruit, des blessures, des menaces, de sa poigne agrippée à son haut. On ne peut pas voir l'abysse.
Et pourtant, il est tout aussi grand que celui devant lequel Vesper se tient.
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En vrai est-ce qu'il pousse, Lukas ?
Est-ce qu'il ferait ça ? Est-ce qu'il a assez de cran pour... Non, assez de bêtise, peut-être. Pour évincer comme ça d'un coup toute une vie à cohabiter ensemble, à tout faire comme deux gamins qui se sont jurés fidélité pour toujours et à jamais.
Ils se sont jamais dits les choses. Plus facile comme ça. Pas devoir puiser dans les mots ; laisser faire les gestes. Les gestes on doit pas forcément les expliquer, les justifier. Entre mecs ça a toujours été comme ça, on dit pas, on fait. Plus simple. Les belles paroles, Lukas il a jamais eu. Vesper, un peu plus. C'est vrai que le rejeton savait pas aligner deux mots d'anglais quand ils se sont rencontrés.
Puis le temps a passé. Lorsque le premier se perdait dans une contemplation passive des nuages, l'autre s'alimentait la cervelle en culture. Un autre truc qui les distinguait, sans les éloigner. Sorte de complémentarité à la fois évidente et particulièrement casse-gueule. Qui aurait pu les affilier rien qu'à les voir comme ça en deux bêtes sauvages effrontées ? Bottes et blouson en cuir pour l'un ; toile tendue et sneakers pour l'autre.
Les serres agrippées au t-shirt, la pluie qui s'abat semble lui alourdir les épaules. À moins que ce ne soit simplement la mort à laquelle il promet Vesper si jamais il poussait un peu plus loin la menace. Dans tous les sens du terme.
Derrière eux la gueule de bitume se déploie, béante. Kilomètres qui les séparent d'un macadam meurtrier. Les buildings de NY s'élèvent comme les canines d'une mâchoire grande ouverte. Le piège parfait pour y faire tomber le gibier.

(est-ce que jle provoque ou est-ce que jvais vraiment lfaire)
(jvais vraiment lfaire?)
(jai jamais tué personne)
(jme suis tjs dit qu'il y avait plus marrant à faire que tuer)
(ouais c'est cqu'on se disait)
(enfin. On ldisait avec le sourire après avoir échangé les buzz quoi)

Un frère.

Et quand ce même frère saisit avec une délicatesse surprenante le bout de ses doigts pour y déposer une série de baisers,
c'est comme si la pluie s'était arrêtée.
Brusquement. L'arrêt sur image, gouttelettes suspendues dans le temps. L'air se fragmente, souffle coupé. L'incompréhension frappe, battement de tambour qui tombe. Une fièvre virulente et soudaine s'acharne à mordre ses entrailles alors que son désarroi se traduit en un simple froncement de sourcils hébété.
Colère échue, balayée. Douceur ultime qui claque à chaque recoin de ses jointures, métacarpes immobilisés. En cet instant lunaire ils pourraient ne plus tenir le t-shirt du tout et lâcher complètement prise dans ce néant fatidique ; heureusement la stupeur paralyse plus qu'elle ne détend les muscles, aussi la fermeture de son poing demeure parfaite et statique pendant que s'abat l'amour sur la colline de ses phalanges.

(qu'est-ce qu'on pourrait tatouer là vesp)
(euh chais pas,,, "fuck you"-- nan cnul)
(jtrouve ça cool mais déjà pris)
(live....... life/death...?)
(cest ton côté edgy ça avoue)

Un frère...

Si je vais en arrière... Tu me sauves... ou tu me laisses tomber ?

Et vous savez ce qu'il y a de plus spectaculaire dans le cerveau humain c'est la rapidité avec laquelle les connexions les neurones le courant électrique les stimulus sensoriels peuvent se faire. Même si le détenteur de ce même cerveau a consommé tout un tas de saloperies juste avant et que la bière par terre le prouve un peu plus.
Il voit la silhouette fendre l'air.
Piquer du nez vers l'arrière.
Lentement -- ou non, très rapidement. Un clignement du regard, battement de cils avant que déjà la casquette ne s'envole dans le lointain et que la tignasse noire plonge vers le bas.
Lèvres qui s'ouvrent, mais pas assez pour laisser partir l'insulte l'engueulade la surprise la sidération la déclaration de guerre face à celui qui vient de se laisser happer par le rien.
Il réalise comment son poing ne tenait en réalité plus du tout lorsque la matière glisse avec une facilité telle qu'il se demande même si la pluie n'aurait pas été la plus grande traitresse dans toute cette histoire.
Vesper coule. Avec une simplicité presque pure. Comme quand on retourne à l'état de sommeil après s'être laissé tomber sur le lit. Pendant que l'autre écarquille les yeux à se demander comment c'est possible de s'endormir si vite et si fort.
Coup de jus dans les nerfs. Dans le poitrail qui s'embrase tout à coup, air étouffé et contenu au milieu des poumons étreints. L'éclair qui frappait le sol a fait son chemin de sa nuque jusqu'à ses synapses jusqu'à ses poignes jusqu'à ses jambes qui ont franchi la limite.

Talon dans le vide
puis mollet
genou
un pan du bassin
mais surtout sa main. Tendue droit comme un grapin pour aller saisir ce qui met le plus de temps à basculer dans le vide avant d'être emporté par le reste.
Bras repêché du néant, poids du corps qui l'entraîne un peu, un peu beaucoup et ses semelles raclent le sol dans ce bruit caillouteux et glissant. Il est pas loin de se faire avaler par la gueule de béton aussi Lukas.
Putain.
Putain putain putain putain putain putain putain
Putain ouais que y a la peur qui lui tenaille les viscères.
La peur.
La peur comme une mâchoire suspendue aux boyaux.
La peur comme quand on commence à être un peu trop vivant et que. Qu'on se rend compte qu'il reste quelque chose d'important et que c'est pas encore l'heure de partir.
C'est pas encore l'heure.

Vesper... C'est pas encore l'heure de dormir. Il reste plein de choses à faire. Il reste à aller voir ce qui se passe dehors. Il paraît qu'il y a du monde qui vit, du monde vivant, des trucs qui valent la peine. Il y a d'autres trésors à aller voler, d'autres îles à aborder. C'est pas encore l'heure de dormir Vesper.

Dans un élan de force, d'un quelque chose d'exceptionnel quand sous son crâne les ordres et les actions s'enchaînent à une vitesse phénoménale, il tire sur ce bras, Lukas. Il tire en arrière pour remonter ce qui pèse encore trop lourd dans le vide. Il tire, il tire si fort qu'il croit que même ça, ça va lui glisser entre les mains.
Se raccroche au muret, bordure sur laquelle ils jouent aux funambules depuis toujours.
Il tire. Remonte la carcasse.
Tête d'abord.
Buste ensuite.
Guiboles après.
Dès que le torse a passé la barrière du vide il y a comme un soulagement qui s'écoule déjà dans ses artères en guise de récompense. D'euphorie après le danger mortel. Sursaut qui réveille d'un cauchemar, le regard s'ouvre sur un plafond d'étoiles.
Cœur bat à tout rompre. Halètement des bêtes qui ont fui le chasseur et ont enfin trouvé le lieu où se réfugier. Il tire encore Lukas, vous pouvez pas savoir comme il tire pour l'éloigner du bord, de la gueule, du crissement des pneus et des sons de bagnoles qui pourraient encore buter Vesper jusqu'ici, il a l'impression. Se traîne le fondement à terre, toujours en arrière, tandis que l'autre est encore étalé sur les briques. On sait pas trop à quoi il pense ni ce qu'il fout mais Lukas s'est penché dessus pour saisir le col saisir bien bien fort et tirer tirer encore mais cette fois tirer pour gueuler à deux millimètres à peine de Vesper toute bave qui s'écrase sur sa gueule d'ankylosé.

- C'était vraiment CON comme move !!!!!!

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