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(vesper / people dancing in front of a world at war

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Lippes savantes qui déjà esquissent la fin de quelques gouttes, venues expier les derniers pêchés de la journée par la liqueur colorée qui embrase tout, du palais à la gorge. Les dents qui grincent rapidement, les cocktails ont baissé en gamme depuis la dernière fois. Ou alors, peut-être que j'emmerde carrément Mitch, derrière son bar, parce que son sourire en me voyant arriver avait pas l'air tout à fait franc. Il a les canines jaunes et les ongles rongés, peut-être que le directeur payait moins ses gars en ce moment ; tout ce qui compte, c'est que c'était un bon pote, du genre de ceux que j'avais connu dans mes périples internationaux, on s'était croisés sur un bout de globe, et on avait marqué notre territoire à grandes rasades de rire. Donc il a accepté d'ouvrir plus tôt, rien que pour moi, aujourd'hui, enfin rien que pour nous. Parce que j'ai pas porté de fringues aussi amples depuis une décennie, rappel de cette époque où je me pinçais la peau avant chaque jet de lueur, avant chaque spectacle, peu importaient les billets. Il fallait assurer, il fallait surtout assumer les fringues, spécialiste du cuir déjà, puis du cuir violet, le genre de mauve qui faisait s'émerveiller les plus belles des brunes et le genre de pourpre qui faisait se dandiner leurs mecs - ou peut-être que c'était leurs potes, j'avais jamais trop su. Et le soir, en rentrant, c'était de gros T-shirt, de gros sweats, de gros joggings, tout pour oublier que j'avais un corps, au moins le temps de quelques heures, parce que vivre avec son outil de travail, devoir le trimballer façon Bob le bricoleur mais en un peu plus charnel, un peu plus débridé, ça allait nickel trente secondes, mais au bout de quelques années, il fallait apprendre à ne pas sombrer dans les dérives. Elles étaient nombreuses, sorte de mer d'encre qui dégoulinait et s'agglutinait à chaque pensée ; il y avait ceux qui tombaient amoureux d'eux-mêmes, Narcisses modernes qui venaient se noyer dans des lacs de corps désirant le leur ; il y avait ceux qui en tirait le dégoût, qui au bout de quelques années fuyaient tous les miroirs puisqu'ils n'avaient qu'une obsession : eux-même ; et il y avait ceux qui tiraient le bon filon, enfin c'est ce qu'ils pensaient, donnant de plus en plus de prestations osées, pour finir par basculer dans une industrie toute autre, sans doute mieux payée, mais pas tout à fait identique. Alors il fallait faire le compromis : ne pas tomber amoureux de soi, ne pas se détester, connaître ses limites. Et c'était quelques règles que j'avais essayé de t'inculquer dès le premier soir, autour de nos shots géants de tequila furieuse ; ça n'avait pas marché dès le début, enfin du moins t'avais eu l'air d'en rigoler sans vraiment peser le pour et le contre, et comme j'étais la plus obstinée des comètes, j'avais décidé de te percuter jusqu'à ce que tu finisses par piger, parce que t'étais un chouette gamin, un de ceux que j'aurais bien aimé fréquenter il y a quinze piges, traîner dans les clubs les plus bizarres et rigoler jusqu'au bout des bouteilles. Alors je t'avais donné rendez-vous ici, club désert, deux barres de pole au fond, et puis une belle scène devant, de quoi assurer le spectacle et te donner quelques petites astuces, d'un ex-stripper à un nouveau, hérédité de la sensualité sans que tu ne possèdes aucun brin de mon acide nucléique, mais on avait la même tchatche et ça me plaisait bien. Mojito framboise à la main, les yeux qui guettent Mitch à son bar, il tire la gueule et il voulait pas venir si tôt, et puis le pied qui martèle le sol, frôle à chaque fois le pan le plus bas de mon traditionnel manteau, celui-là bleu indigo comme pour cacher la grisaille de mon attirail - jogging et sweat gris, belles baskets blanches, j'avais pu en profiter pour aller courir avant de me pointer ici t'attendre pour un de nos rendez-vous incongrus.
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Humanoïdes aux abonnés absents, dans cet espace qui hantait leurs nuits. Pas encore de musique forte, pas de mélopée sensuelle, rien, pas même une flûte de Pan pour charmer les rats parasites qui grouillaient partout en ville, à chaque coin de bitume. Rien que le cercle humide laissé par mon verre débarrassé à ton arrivée sur l'acajou d'une table qui avait servi à accueillir les coudes de plus de videurs qu'il y avait eu de garçons ayant fait se pâmer les filles qui dansaient ici parfois, accrochées aux barres d'acier dans des luttes aphrodisiaques, descendantes de Vénus, ou juste vêtues de tenues douces sous les digitales, s'amusant à haranguer les foules, petits soleils en pleine valse, pour rappeler combien elles étaient belles et désirables ; les messieurs qui se pâmaient ou qui venaient se perdre à leurs tours dans des esquisses du corps intenses connaissaient aussi bien les règles que moi ; ici comme partout ailleurs, on touchait des pupilles, on caressait des cils, on pouvait même les fermer, se laisser bercer par les percussions lascives et langoureuses pour imaginer des silhouettes du plaisir s'amuser à valdinguer d'un genou à un autre, à défaut de pouvoir vraiment encercler les hanches de nos mains. Tu étais arrivé avec un retard ponctuel, forme de déformation que j'appréciais grandement, puisque ça avait été tous mes quotidiens avant que les rendez-vous de ma vie ne tournent autour des clients ou de ma gamine ; brun sucre d'orge aux iris pétillants qui flagellait mon coeur chaque nuit de son silence, comme si ses rêves étaient les traîtres recherchés pour le vol de sa présence dans mes bras pendant quelques heures seulement. Je te regarde t'asseoir, admire les pas chaloupés, me dis que tu es en pleine représentation même devant moi, peut-être que c'est surtout pour moi justement, juste pour que je te glisse que je suis admiratif, parce que ça te ferait sans doute plaisir, ça tirerait des lueurs rougies sous tes yeux scrutateurs, lumières rosées qui se faisaient sans doute rares quand tu décidais de te détacher de tout. Une main qui se lève, attrape la tienne pour la frapper contre ma paume, geste de salut qui ne t'échappe pas plus que le sourire en coin. "Je ne me ferais jamais à l'idée que tu as l'âge de boire légalement. Tête d'ange, habitudes de démon." Lèvres humectées parce que ça te représentait bien dans un coin de ma tête, toi qui symbolisait pas mal de renaissances et quelques déchéances, toi le modèle parfait pour tous ces peintres romantiques qui espéraient pouvoir tirer de vieilles figures mythologiques leurs inspirations divines, alors qu'ils auraient pu t'avoir sous les yeux, se saisir de plus belles huiles pour mieux capturer et captiver. Et puis tu murmures, sur toile ça ferait comme un trait de gouache plus foncé, et ça agrandit mon sourire, ça ou le surnom que tu murmures et qui m'amuse, parce que je sais toujours pas définir ce que je pense de toi. T'es peut-être bien un fils que j'aurais eu, égaré dans les moeurs d'une autre incartade féminine écartée de mes synapses, fort propices à l'oubli ces dernières années. Si Oli n'avait pas eu mes iris, je ne l'aurais sans doute pas tout à fait associée à mon reflet dans les vitres du penthouse où elle pépiait maintenant matin et soir. "Fiston, tant que je suis pas sûr que tu fais gaffe, tu m'as sur le dos. Comment ça se passe en ce moment le taf ?" Une main qui se lève, commande un nouveau cocktail mentholé et fruité, te coupe en même temps la gouaille parce que je veux pas que tu répondes si c'est des conneries. "Me dis pas que tout va bien ou que tout va mal, mets des nuances. Et raconte moi ta dernière danse."

@Vesper Lazarus
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Fantasque litanie de nos mots qui s'emmêlent, ce ton un peu désagréable et pourtant terriblement mielleux qui serre ma gorge, l'inonde de regrets et d'espérances, dès que je te parles. Esperanza qui prend la forme justement de tout ce que j'aurais aimé faire quand j'étais toi, et pas juste ce visage en face d'une vitrine si propre que je reconnaissais dans tes traits la malice des jours d'autrefois. Le passé avait dévalé la colline, je n'aurais pas pu continuer le strip au-delà des trente-cinq ans, comme un cap fatidique, plafond de verre qui explose rarement, puisque le corps perd de sa fermeté, qu'il se pare de nouvelles rides, de petites imperfections qui ne permettaient plus aux danseurs de rester ces modèles prédéfinis, délicieux dans le moindre angle, fusse-t-il aigus ou rentrants. Non, il y avait cette solidarité folle entre les strippers, tranchant diablement avec cette volonté de s'imposer, de devenir le nom verni sur les belles affiches, d'être la tête de gondole du spectacle ; mais les anciens aimaient voir les nouveaux s'articuler sur scène, automates épicuriens, la grâce dans chaque geste, toujours moins perfectibles, car les années passaient, les numéros s'enchaînaient, les clubs ne se lassant d'aucune calve, chaque contrat signé pour accoucher d'une nouvelle figure qui ne transigerait devant rien pour les voir briller, les pupilles dorées des démons venus se perdre dans les fauteuils. Je retins un grognement rauque, le genre qui pourrait aussi bien sortir d'une caverne frappée par la houle, le long d'un littoral lointain ; avec toi, ça avait dépassé la solidarité depuis déjà un bon moment.

Succession mentale des Polaroïds de nos soirées, elles avaient été nombreuses, on avait tout un tas de similitudes et parmi celles-ci l'empressement aux rires, à la musique vrombissante, rien ne comptait vraiment davantage que ces moments volés à Chronos, secondes qui se défiaient du cours du temps, heures de joies simples et de verres enchaînés, la commande toujours plus balbutiante et le pas chaque fois plus incertain. J'avais un attachement particulier à toi, de ces affections qui vous poussent à lever le bras, à détailler de l'index chaque trait du visage parce qu'on reconnaît les différences étincelles et qu'on aime s'y brûler ; un dessin vaste de ton corps, si semblable au mien il y a des décennies, et j'aurais pu passer des heures à imprimer mes empreintes sur ta peau. C'était pour ça, aussi, la fureur qui monte ; les clients dépassaient toutes les bornes, allaient même bien au-delà vers l'autoroute du Styx, et imaginer la paume frapper le bas de ton dos, me faire l'esquisse de toutes ces mains trop baladeuses qui prenaient possession de tes os et de ta chair comme si tu n'étais qu'une vulgaire marionnette ficelée par Eros lui-même, avait quelque chose de ravageur. Les phalanges un peu serrées, qui blanchissent autour du verre, le parant d'un collier d'ivoire, mon regard toujours planté dans le tien, dagues d'iris qui ne se pâment que pour ces reconnaissances muettes entre nous. "Ces grosses scheisse oublient toujours qu'on a des dents pour scier leurs doigts, et des doigts pour arracher leurs dents."

On, comme si j'étais toujours toi, cette version rajeunie, perdue dans milles fontaines de jouvence, à côtoyer les stroboscopes et les lueurs carmins chaque soir, et pas juste un père de famille rangé, les ailes dans mon dos devenues celles des avions que je vendais aux clients richissimes, amoureux transi de mon Stanislas comme seule trace d'une potentielle jeunesse, langoureux comme mille adolescentes décortiquant le nom de l'amoureux dans leur journal jauni. "Tu devrais les démonter un par un. Je peux t'aider." Parce que je réussissais pas à te protéger, parce que l'envie de te mettre sous une cloche protectrice, émeraude de verre, ne réussirait qu'à nous éloigner, tu fanerais trop vite et m'en voudrais de vouloir te métamorphoser en un docile modèle ; et je m'en voudrais aussi, puisque même si ta peau ne se parait plus d'ecchymoses, il faudrait endosser la mort du coeur sauvage, celui-là même qui aimait se perdre dans toujours plus de lueurs nocturnes et de rythmes lascifs, et je n'étais pas prêt à te voir dépérir. "J'ai été pas mal occupé. Stan s'est installé chez moi... Chez nous, maintenant." Un haussement d'épaules, comme pour jouer les types qui s'en moquent, alors que ça avait été ravageur, comme des coulées de miel venues substituer au sang qui coulait traditionnellement dans les veines bleutées dissimulées sous l'épiderme. C'était beau, l'amour, mais j'aurais eu du mal à t'en parler. Vingt ans en avant, je me serais moqué des types comme moi, et tes railleries ne me blessaient pas mais nous faisaient perdre du temps. Il était des sujets qu'il fallait éviter pour aller au but, c'était préférable : le vol des corbeaux aux plumes d'onyx qui te blessaient, ces ennemis invisibles qui rôdaient en ville, en était un, puisqu'il faisait accélérer mon organe et me donnait des envies de décimation curieusement indécentes. "Les verres de ce soir sont pour moi, Mitch." La tête penchée en arrière, pomme d'Adam offerte à la malédiction d'une brise poisseuse, rien que quelques secondes avant que je repositionne mes pupilles sur toi. "La danse c'est... Mes meilleures années. Quand tu fais le tour des clubs du monde, t'apprends les désirs de toute la Terre, t'es comme un dieu, t'as pas besoin d'autel ou de temple, juste de trouver les bonnes effluves et les bonnes animations." Un ricanement rapide. "L'orgasme c'est une petite mort, c'est pour ça qu'on a les pleins pouvoirs quand on les maîtrise. Ils peuvent jouir juste en nous matant. Donc ouais, c'est grisant, et ça me manque parfois." Un nouveau verre qui apparaît comme par magie, sorti d'un chapeau invisible. "En tout cas, t'as vu juste. On va danser ce soir. Tu as déjà utilisé la pole ?" Tête penchée, lèvres mordillées ; parce que bordel t'es beau comme j'étais beau, l'Olympe entière qui doit se pâmer en matant ses deux modèles les plus aboutis se faire face, l'un qui a pris la maturité d'un vin hors d'âge pour s'argenter d'une nouvelle beauté, l'autre toujours paré d'un halo doré, aura mordorée d'une jeunesse délicieuse sous les lèvres.

@Vesper Lazarus
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L'obscurité qui tombe, ombres d'obsidienne engourdies qui viennent happer le reste de la salle alors que les ampoules en rideau du bar s'éteignent. Mitch ne sera plus spectateur de notre ballet de jambes, les miennes pour l'instant sagement croisées, os qui se chevauchent sans même m'évoquer ces nuits pas si lointaines où c'était ma colonne vertébrale qui adoptait la forme de celle de mon Stan afin de pouvoir le faire maugréer quelques suppliques alors que ses yeux vacillaient sous le poids d'un désir injuste, injuste car quand on aimait à ce point-là, l'intensité faisait derechef ployer la balance de toutes les justices. Tes congratulations sont fauchées, champ à peine semé que déjà tu en cueilles des fleurs amères, violettes dont tu arraches chaque pétale pour me bâtir un nouveau halo ; il n'y a d'aura finalement que celle que tu t'amuses à me prêter, me voyant comme cette figure paternelle dans laquelle je m'étais lentement laissé glisser, presque langoureusement même, puisque je prenais un plaisir à voir tes yeux s'illuminer de fierté dès que je te glissais quelques mots ravageurs sur la façon dont tes chairs se disloquaient pour faire miroiter les temples d'Eros aux iris les plus offertes. Il n'y avait pas que ce miroir entre nous, non, il y avait vingt années d'une expérience tenace, d'un pantalon enfilé, ceinture bien bouclée, pour ne plus avoir à me dénuder, même si j'avais aimé les sentiments, même si j'avais aimé ce trac qui vous serre les tripes, vous donne l'illusion qu'il n'y a d'air que celui que vous pourrez dérober aux lippes les plus offertes. Alors en attendant, tu donnes le change, joueur de poker au visage qui trahit pourtant chacune de tes pensées, et je pourrais presque lire en filigrane sur les crevasses de tes lèvres ce que tu penses réellement. "Merci, j'imagine." Un sourcil haussé, comme un air de défi pour te laisser me reprocher d'avoir quitté l'arène, gladiateur de tous les pêchés qui s'étaient rangés et avais glissé son épée dans les poches d'un autre.

La nuit est tombée dans le club comme elle était venue hanter les rues new-yorkaises, à n'en pas douter ; il ne resterait sur le bitume, que quelques fantômes égarées, âmes en peine qui se réjouissaient de pouvoir glisser sur leurs prunelles les dernières lueurs d'un soleil enflammé qui se consumait pour mieux renaître demain, Hélios le phoenix, Hélios le maître des lumières, Hélios qui mourait pour mieux se perdre dans le jardin des Hespérides en compagnie de cet éclat d'une jeunesse farouche que je devinais dans tes yeux. Avais-je eu l'air aussi fou de la vie, il y a deux décennies ? "Calme-toi, fiston, j'arrive." Fin sourire sur les lèvres, je pourrais bien te paraître le plus lassé qu'il n'en serait jamais rien, tu me pousses à l'extase, tu me pousses dans les retranchements d'une excitation où je demeure pantois, fixe, immobile, sur une planche en bois que tu ne manqueras pas de scier. Avais-tu déjà songé derrière tes cascades de cils, à ce que ma déchéance pourrait t'apporter ? M'avais-tu laissé esquisser quelques pas de séduction dans des pensées tardives, quand les nuages devenaient des moutons noirs, espèces que nous ne connaissions que trop bien toi et moi ? Depuis combien de temps avais-tu revêtu l'apparât du chevalier séducteur qui part à la guerre aux roses ? De tes hanches qui se balancent quand tu marches, suffisamment discrètement pour qu'on puisse penser que c'est un hasard, suffisamment éloquentes pour qu'on en devine l'intention contraire, jusqu'à la façon dont tes mèches retombaient le long de ton oreille, à peine trop longues, et pourtant si courtes, tu étais un appel à la langueur, un appel aux silhouettes qui s'étendent dans des nappes en tartan pour mieux les froisser de leurs dons aux nymphes des désirs indécents des heures plus tard. La main qui agrippe la barre métallique, heureusement ni trop froide d'une climatisation défaillante, ni trop brûlante d'un des danseurs qui serait venu s'entraîner et jouer les décors à notre conversation courte - puisque tout était court lorsque nous étions assis, tu avais l'envie folle de glisser dans les villes, de dérober chaque pavé, et j'étais comme l'un des satyres d'une forêt enchantée, condamné à te suivre le long de tes mélodies, même s'il fallait entrer en mer, jusqu'à ne plus être qu'une lointaine écume dans l'océan. "Je crois que tu n'as pas compris, Vesper."

Au contraire, tu avais tout compris.
Depuis qu'on s'était rencontrés.
Tu savais pouvoir m'amadouer, et tu en jouais ; c'était toi Pan, c'était moi l'égaré des Dédales.

"C'est toi qui danse. Moi je te mate, et j'essaie de comprendre pourquoi tu captives autant." Raillerie assumée, l'éclat de rire qui rugit, manque presque ranimer les ampoules délaissées à l'autre bout de la salle, près du cadavre de nos deux verres, les ronds d'humidité encrées pour toujours dans un bois, rejoignant les milliers d'autres cercles qui avaient frotté les coudes de ceux venus se perdre dans nos terrains de prédilection. Nous étions des chasseurs toi et moi ; et j'avais appris très tôt que pour être l'alpha de la meute, il me fallait apprendre les techniques du guerrier le plus conquérant. "Et arrête ça." Grognement qui feule, résonne contre ton rire alors que tu te détaches, rendant à tes doigts leur liberté, à mon coeur son caisson total. Il bat vite, mais je ne mets ça sous le coup d'aucun attrait pour le bas de ton dos, pour la façon dont ma langue pourrait embraser des flammes léchées ; il n'y a dans mes synapses que la gravure d'un visage familier, et ce n'est pas le tien. Tu te joues de moi, succube qui règne, succube qui s'impose, succube qui s'éloigne enfin, et nos mains se croisent sur la barre, ça te fait sourire, je sais que tu l'as fait exprès et que tu t'en réjouis, alors je recule de quelques pas, m'approche du vieux jukebox mordoré, espérant qu'il soit encore en état de fonctionner, y glisse quelques pièces qu'il n'avait sans doute pas connu, et la mélodie entêtante vient reprendre du service. "Si tu n'es pas au niveau..." Bienvenue dans le cirque. "Je me casse ou alors je retourne boire tout seul. Donne toi à fond, louveteau." Puisse le sort vous être favorable.

@Vesper Lazarus
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Tournoi des sept Olympes qui se déroule devant mes yeux ébahis, Cerbère qui tend la patte pour assouvir tes pulsions, tes besoins de sourire, les trois têtes qui suivent tes tournoiements et s'y perdent. Il y a du vent, du vent de corps, des brises chaudes qui émanent de ta silhouette à peine échauffée, et dehors déjà je sais que les étoiles pleurent l'agonie d'un crépuscule doux, brûlé par ta peau qui a emporté le voile d'une nuit sombre. Voile qui recouvre mes pupilles avec un peu de retard, puisqu'il a d'abord fallu que je m'épanche en sourire, les commissures douloureuses, mais elles l'étaient souvent avec toi, puisque tu m'apportais des éclats de rire, comme des boules à neige que tu t'amusais à mettre à la renverse. C'était le chaos, ton élément. Pas la danse, pas la luxure. Pas les effluves de parfums hors de prix des hommes d'affaires qui s'arrachaient à renforts de mallettes le plaisir de ta compagnie. Les attaché-cases pouvaient bien aller se noyer le long de Coney Island. Avec toi, l'argent ne comptait que lorsqu'il fallait que tu puisses t'en servir : nouvelles odeurs de drogues à la mode, nouvelles sucreries qui roulent et fondent sur une langue que tu tireras pour jouer un peu plus de ce violon indécent qui strie les tympans lorsqu'on commence à t'apprécier. Je demeurais incapable de savoir quand je m'étais laissé aller à te prendre dans mon coeur. C'était comme avec Olivia : je m'étais attaché en une fermeture des paupières, boutiques dont la journée s'achevait en quelques lueurs dorées sur la caisse enregistreuse de mes iris. "Hmm..." Les pupilles qui te suivent encore, s'acharnent à devenir des tornades pour rejoindre le tournoiement, la main qui balaie l'air comme pour y trouver une autre barre, minerai fondu qui serait venu se transformer en une épée du sol au plafond, lame sur laquelle empaler mes phalanges pour à mon tour jouer les oiseaux furieux, rage qui devenait volutes de corps et de plumes autour du métal. Nuée ornithologique de toutes les corneilles de Zeus, tous ces éclairs de jais qui fusaient, venaient transpercer les champs de cils pour implanter des images toujours plus dégustables derrière le noir des yeux. Il n'y avait pas de spectateur ce soir. Alors pourquoi t'échinais-tu autant à devenir celui-là, Vesper ?

Je n'avais jamais voulu rencontrer le produit Lazarus.
On m'en avait pourtant vanté les mérites. Je l'avais même déjà vu luire derrière ton dos quand tu chorégraphiais devant des clients richissimes.
Mais tu ne me l'avais jamais imposé.
Et ça me laissait un arrière-goût bien plus amer que si j'avais croqué dans cent mille oranges en même temps.
Et un tout autre jus. Jus de colère, résidu de fureur, pulpe acidulée qui deviendra vite magma sous la langue qui dessine dans les airs de nouvelles syllabes.
Nouvelle arène, nouveau combat.

"Ferme ta gueule, Vesper." C'est sorti seul, ça m'a presque éraflé les canines, loup miséricordieux qui a cessé de tourner, qui a dans les yeux des éclats dangereux. Je ne pensais pas que tu puisses un jour me dégoûter, ou m'inspirer de la pitié. C'est peut-être ça, finalement, la faille entre nous. Celle qui a séparé nos deux jeunesses. Celle qui nous empêche d'être des copies conformes, nous rend semblables tout au plus, puisqu'à ce moment je me rends compte combien nous sommes différents. Quelques pas félins qui m'attirent plus proche, ma main qui fixe la tienne contre la barre, t'empêchant de continuer ton joyeux manège. Je ne m'amuse plus. "Merde ! A quoi tu joues, exactement ?" Les yeux qui se croisent, et tu dois voir derrière les rizières d'émeraude arriver au loin des cavales entières, lances colorées brandies en avant pour mieux t'emporter loin de moi. J'ai toujours cru pouvoir contenir ma colère, on ne me l'avait jamais reproché. Même mon beau-père s'y était fait, il avait eu l'habitude des remarques acides, des petites piques, mais jamais nous ne nous étions écharpés salement. Pourtant, j'avais l'envie de te faire du mal. C'était l'effet recherché, pas vrai ? Tu voulais que mon instinct prenne le dessus, tu voulais que ma paume serre plus fort le dos de ta main, tu voulais grimacer, tu voulais que je te repeigne de bleus, parce qu'à défaut d'avoir mon amour tu voulais pouvoir tâter de ma violence, t'en imprégner tout entier, t'offrir une robe d'ecchymoses ? Je n'étais pas un ange de rédemption. Je n'étais pas non plus cet enfoiré de Père Noël. Et je n'en avais rien à foutre de ce que tu voulais de moi. "Je..." Renonce à m'excuser, renonce aussi à laisser se fondre ta main qui se tortille sous la mienne. J'ai sans doute déjà appuyé trop fort. Ça doit être pour ça que tu souris encore comme un con. Je déteste voir tes dents dans ce genre de situation. Elles me rappellent juste l'envie cruelle que j'ai de planter les miennes dans ta carotide, de redevenir un bête Cerbère, machine à tuer, machine à exsanguer. Le loup noir et l'offreur de luxure. On ferait un beau conte tous les deux. Du genre à pleurer à la Lune sous des cerisiers fleuris. Mais ma colère continue de gronder, orage lointain, et je refuse de ne pas aller danser sous les éclairs. "Tu mérites pas que je passe du temps avec toi quand tu fais tout ça. Je ne sais même pas ce que tu recherches. Mais je ne... Je ne veux pas faire partie de tout ce bordel. Amuse-toi tout seul ou trouve d'autres connards. Et fais le point. Apprends à t'aimer, parce que quand tu fais ce genre de choses, tu me donnes envie de te détester." Pivot déjà, quelques pas, ma main sur ta clavicule comme un geste doux pour tempérer les apocalypses qui chantent encore leur dies irae dans tes oreilles sonnées. Je crois que tu ne souris plus, mais je ne le vérifie pas, déjà j'avance à grands pas vers notre table, vide mon verre d'une traite, laisse une belle poignée de billets, enfile mon manteau, et disparaît par la porte dans un dernier envol de tissu pourpre. La nuit est belle, Nyx décidément trop charmante pour que je la gâche à comprendre ce qui déconne chez toi.

@Vesper Lazarus
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