back to basics - ft. Dan

Gabe & Dan

back to basics

Plus facile de se concentrer sur une histoire pourrie de glace plutôt que sur ce qu’il se passe sous mon crâne. Reproche à la con qui a plus de mille ans mais que j’aime bien ressortir de temps en temps, parce qu’après tout pourquoi pas ? Au moins je sais qu’avec Dan, y’a zéro chance qu’on se casse vraiment demain pour un truc aussi con qu’une glace. M’enfin si Elias m’entendait penser il dirait que y’a rien de con, que si la glace est si bonne que ça elle vaut large qu’on aille jusqu’en Italie... Bref, heureusement qu’il arrive pas encore à lire dans ma tête ce con parce qu’on serait mal barrés. Pas de réponse intelligente qui me vienne, alors je me contente de souffler un peu du nez et d’hausser les épaules, sourire aux lèvres. Sourire que je perds vite, parce que le reste de la conversation me plaît pas vraiment. Forcément, faut qu’on en parle. Qu’on parle de cette putain de ville, de ce qu’il s’est passé, de l’autre crevard. Et n’empêche que ça continue de me faire flipper. De me dire qu’il pourrait me tomber dessus à n’importe quel coin de rue, qu’il sait pertinemment que je suis là parce qu’il a toujours tout su de ce qu’il se passait dans cette foutue ville de merde. Pour ça que je pouvais pas fuir, que fuguer était hors de question, parce qu’il m’aurait retrouvé où que j’aille. Pour ça que la seule solution s’était de se casser à l’autre bout du pays, dans une ville où il avait aucun contact. Petit ‘hmm’ lâché en guise de réponse à ses observations en lieu et place d’une vraie phrase. Il a pas tort, mais j’arrive pas à imprimer le message dans le fond de mon crâne. J’arrive pas à faire autre chose qu’être putain de terrifié. Je sais pertinemment que contrairement à ce que je pense et ce que je dis parfois, je serais incapable de lui faire quoi que ce soit même si je l’avais en face de moi. Je sais que le petit garçon flippé remonterait direct à la surface, aurait envie de se cacher dans le premier coin d’ombre disponible. Y’aurait rien que la loque qu’il a rêvé d’élever devant lui. Rien de plus que cette coquille vide que j’ai été pendant des années. Besoin de faire un tour, de m’aérer littéralement la tête, alors je m’élance sur ma planche. Comme quand on était gamins. Quand tout était à la fois plus simple et infiniment plus compliqué. Petit sourire à nouveau en entendant mon soi-disant meilleur ami dire qu’il aurait bien voulu me voir me casser la gueule.

« Connard, va. »

Il a pas tort sur la dernière idée, n’empêche. Finir aux urgences c’est pas le plan idéal. Et le bisou magique... Vaut mieux pas y penser. Poids balancé vers l’arrière, skate qui redescend doucement la pente pendant que je réfléchis longuement à la question posée. J’en sais rien, je crois. Y’en a plein qui me viennent, et qui sont en même temps tous embrouillés. Je sais très bien que ma mémoire me fait défaut sur ces années-là, mon cerveau a effacé plein de trucs pour me protéger de moi-même. J’hausse les épaules, mains qui glissent dans les poches de mon jean.

« J’sais pas. Y’en a trop, j’crois. C’était toujours cool quand on était là. Tous les quatre... Tous les deux, aussi. »

J’accroche ses yeux une minute, sourire au coin des lèvres, baisse la tête. On en a fait des trucs, ici. On s’est marré, j’ai pleuré, crié, il a été là pour moi. C’était toujours ici qu’on se retrouvait. On en a jamais parlé dans les médias, de tout ce que ce skatepark a représenté pour nous, d’ailleurs. Déjà parce qu’on voulait pas forcément voir des hordes de fans venir le dénaturer. Surtout parce que j’ai toujours insisté pour que personne sache réellement d’où on vient, pour que personne sache qui je suis. Qui j’étais. Ace a remplacé Gabriel. Mais peut-être pas tout entier. Parce qu’il reste un truc de mon passé dont je me débarrasserai jamais : mes potes. Quoi que je fasse et où que j’aille, je sais qu’ils seront toujours là.

« T’en as d’ces questions quand même. Et toi, alors ? À part le jour où t’as enfin réussi à faire un ollie ? »