-35%
Le deal à ne pas rater :
Philips Hue Kit de démarrage : 3 Ampoules Hue E27 White + Pont de ...
64.99 € 99.99 €
Voir le deal


Ma vie suspendue (Barbie)

W
H
Invité
avatar
Messages
Rp posté(s)

   
Invité


Vous faites toujours les mêmes rêves ? il joue nerveusement avec ses doigts, assis sur un sofa en cuir inconfortable. Il ne lève même pas les yeux de ses mains, ça non. Il ne supporte pas la tronche du thérapeute qui lui fait face, il ne l'aime pas, ne l'a jamais aimé. Pourtant, la boîte a insisté. Si tu veux reprendre le volant, va falloir qu'on soit certain que les traumas sont soignés. Qui peut prétendre colmater les brèches ouvertes cette tragique nuit ? Il souffle, suffisamment fort pour faire entendre son exaspération. Dès que je ferme les yeux, constamment. le silence est d'or, on dit, mais pas entre ces murs. Le silence est plomb, lourd, difficile à supporter et épais. On pourrait s'y noyer, on pourrait y crever. Le thérapeute note, Lieb entend danser le stylo sur son carnet. Qu'est-ce qu'il peut bien y écrire d'ailleurs ? Avez-vous essayer les exercices de respiration dont je vous ai parlés la semaine dernière ? il arrache un morceau de peau sur son pouce, grimace. Une goutte de sang apparaît au coin de l'ongle, ça l'fait presque sourire. Ressentir de la douleur, c'est se prouver qu'il est encore en vie. Non. sans appel, sans équivoque. Il ne ment pas, n'cherche pas à enjoliver les choses. A dire vrai, il déteste autant cet endroit que son appartement. Il ne supporte plus grand chose sinon le Jack Daniels et les rhums arrangés, mais ça, bien sûr, ici, vaux mieux ne pas en parler. Je suis conscient des efforts que vous fournissez mais j'ai le sentiment que vous vous complaisez dans cet état léthargique et ce n'est pas la bonne solution pour... il lève les yeux, Lieb, grave et sévère. Il les plante dans celui de l'homme qui lui fait face. ... pour guérir ? C'est ça ? Vous croyez vraiment que m'assoir en lotus, inspirer pendant dix secondes, conserver l'air dans mes poumons quinze et expirer pendant cinq m'aidera à me sentir mieux ? le ton est sec mais sincère. Il ne joue plus avec ses mains, il les a glissés sous ses fesses endolories par le vieux cuir. Non bien sûr mais... ... mais rien. Rien ne pourra me soulager de cette putain de culpabilité que j'éprouve et ressens au quotidien. c'est comme ça. Coeur ouvert, coeur béant. Tout saigne chez Lieb, rien n'a résisté à cette nuit, le barrage s'est effondré et les eaux se sont renversées. Il lève les yeux vers l'horloge murale, esquisse presqu'un sourire. La séance est terminée, c'est l'heure. parce qu'il n'est pour le vieillard qu'un montant d'honoraires supplémentaires. Pas un être humain, non, juste un gros billet qu'il encaisse à la fin du mois. Le prochain billet attend déjà dans la salle attenante. Il se lève, Lieb, réprimant un nouveau soupire. Vous ne pourrez pas éviter le sujet perpétuellement... il faudra bien que vous vous y confrontiez tôt ou tard. mais la voix s'crève lorsque la porte s'ouvre devant lui. Il a déjà disparu, Lieb, dans le couloir.
Les mains glissées dans les poches de son blouson en cuir brun, il prend l'ascenseur sans un mot, sans un souffle. Il reste éteint, comme souvent, insensible à ce qui l'entoure. Il ne remarque pas la jeune femme qui s'est installée à côté de lui et qui lui jette des oeillades. Il ne remarque pas non plus qu'elle a fait un pas vers lui en espérant une réaction de sa part. Non, il se contente du strict minimum désormais, entre la vie et la mort. Les portes s'ouvrent, il sort. Il traverse le hall gigantesque. Manhattan, il déteste ce département autant qu'il en déteste les habitants. L'opulence, la luxure... il avait pour habitude de les conduire par ici, ces gosses de riches. Il les entendait parler derrière, il les voyait bien le dévisager, pauvre chauffeur. Pourtant, son employeur a estimé que mettre le prix fort dans le choix du thérapeute serait un moyen plus fort de permettre à Lieb de s'en sortir. Fausse pioche, peu importe le tarif pris en charge par le vieillard au quinzième étage, ça n'sert à rien. Complètement hermétique à tout ce qu'il se passe, il est mort cette même nuit, lui aussi. Les portes vitrées qui s'ouvrent devant lui et déjà, l'air frais de saison vient rosir ses joues. Il lève la tête pour la première fois depuis qu'il a quitté le bureau. Le soleil est encore haut dans le ciel. Il pourrait en profiter pour traverser par central parc et s'offrir le luxe d'une balade mais son estomac gronde et Lieb reconnaît cet appel entre mille. L'alcool, le manque... il attrape le paquet de cigarettes, en glisse une entre ses lèvres et avise les bars autour de lui. Il n'aura pas les moyens de s'offrir quoi que ce soit dans le coin mais quitte à crever, autant dépenser le peu d'argent qu'il lui reste. Il tourne la tête à gauche, puis à droite et...
Silence.
Le temps se fige, s'arrête.
Au coin de la rue la silhouette se dessine, tourne dans sa direction. Le visage est resté le même, malgré le temps, malgré les stigmates reconnaissables d'une vie brisée et d'un coeur en miettes. Lieb sent le sol se dérober sous ses pieds, chacun de ses muscles tressaillir et se crisper. L'homme s'avance encore et le temps ne reprend toujours pas sa course. La flamme vacille devant son visage mais la cigarette ne s'allume pas... le souffle lui manque, la respiration lui échappe. Il oublie les gestes simples, ceux-là même qui sont innés et basiques. Son regard ne le quitte pas alors que, soudainement, l'autre est suffisamment près pour le reconnaître également. Et dans la tempête qui s'annonce, il y a cette brève éclaircie qui le réchauffe un court instant. Il est encore en vie, putain... Lieb n'y croyait pas, ou plus. Après cette nuit et cette tragédie, il était bien persuadé que tôt ou tard, il s'en irait retrouver son défunt mari. On ne guérit pas d'un coeur qui se brise, Lieb en sait quelque chose.
Et le temps reprend sa course.
Autour de lui, les gens circulent, bavardent et la cacophonie de la ville écrase ses tympans. Le sang lui monte aux joues, aux tempes et son coeur se met à battre frénétiquement contre sa poitrine. Il tire sur la cancéreuse et l'allume enfin lorsque l'homme, de toute sa splendeur, se dresse face à lui. Je... mais les mots manquent, les termes s'effacent, comme s'il avait oublié comment parler. Aucun autre son ne sort, ne lui échappe. Non, qu'un abrutissant pronom qui engage une réflexion dont il ne sait même plus trouver le sens. Je suis désolé, ça aurait été un bon début.
Invité
avatar
Messages
Rp posté(s)

   
Invité


Je ne rêve plus, je ne fume plus
je n'ai même plus d'histoire
je suis seul sans toi
je suis laid sans Toi


Les rues sont semblables à des pianos, chacune avec sa résonance, chacune avec sa mélodie d'odeurs, de voix. Il trouvait ça beau, l'amant envolé, il trouvait ça sublime même, bien mieux qu'une promenade dans une galerie, nomade amateur de toutes les sensations. Il aimait déambuler, tôt le matin, leurs mains liées, ou bien tard le soir, toutes les tables testées dans tous les bars pour trouver à laquelle l'on pouvait le mieux boire. Il battait des cils, battait des semelles, battait des mains, même, percussionniste à l'aveuglette, et puis ses doigts se posaient, la paume épousait les côtes de Barbara. Flopée de papillons qui d'un coup éclosaient, renversaient la ville, renversaient les lampadaires de milliers de couleurs. Les souvenirs s'embrasaient, brûlaient à la lumière rouge, photographies d'un temps volé, d'un temps disparu.


Je n'ai plus envie de vivre ma vie,
ma vie cesse quand tu pars


Il était là, à marcher dans la rue. Naufragé d'une nuit d'encre, d'une nuit d'obsidienne, d'une de ces nuits boostées à l'adrénaline, celle-ci qui s'infiltrait, recouvrait l'épiderme entier de frissons, infectait la boîte crânienne de pensées, nombreuses, morbides, nombreuses surtout. Un brouahaha permanent, un orchestre symphonique de mille voix qui s'élevaient, chantaient les louanges et les déchéances, parfois les deux en même temps. Et il pleurait, Barbara. Pleurait en boucle, des heures durant, pleurait jusqu'à ce que les yeux soient secs, pleurait jusqu'à ce que les paupières soient trop lourdes pour porter les larmes, qu'elles fassent grève. Et il tournait dans son lit, carrousel du corps qui s'affole, cherche la bonne position, persuadé qu'à chasser Hypnos on finira par le trouver ; mais il est nulle part, le dieu sommeil, il s'est enfui en même temps que le type qui les a percuté, ce soir-là. Alors, il marche, Barbie, après deux heures de sommeil, il enfile un manteau, comme pour s'entourer d'un peu de tissus pour mieux étouffer son désarroi, puis il sort, se gorge les poumons d'air comme pour chasser celui trop avarié d'idées sombres qui stagne dans l'appartement. parfois, il enroule un plaid autour du cou, il a l'air confus, sans doute, parce que les températures restent chaleureuses ; mais lui a froid, ses mains sont gelées chaque seconde depuis qu'il n'a plus celles de son époux pour les saisir.

Quand tu t'en vas je suis malade.
Complétement malade.

Alors, il dévale les avenues, traverse les boulevards, marche sans idée fixe, de l'aube au zénith, suit la trajectoire de l'astre, en soi, rêve de se brûler la peau pour cesser d'entendre le palpitant la frapper de son rythme incessant. Pas assez de rayons ultraviolets, et comme un pied de nez, Barbie enfile des lunettes de soleil, ces derniers jours, pendant les promenades, histoire d'être un zombie méconnaissable, histoire surtout qu'aucun flash insensible ne vienne l'illuminer. Pas trop la tête à la voir apparaître en première d'un magazine au papier glacé et aux couleurs criardes. Et puis, ce matin, s'il marche toujours, le pat lent, il a trouvé quelque chose, un point de repère et un objectif. La vue sur un gratte-ciel comme point d'ancrage, pour reconnaître le chemin, car la cité est vaste ; et puis Macy's, la grande galerie qui fait la taille d'un block entier, pourquoi pas trouver de la mélatonine dans la minuscule pharmacie qui fait face ; ou bien un ours en peluche géant, histoire de mettre de la présence dans le lit. Il marche, presse le pas à peine, mort-vivant ressuscité le temps d'une course seulement, soubresaut cardiaque qui fait tanguer la ligne sur l'électrocardiogramme. Le temps se fige en même temps que les yeux s'assèchent.

Il est là. à quelques pas.
Le regard dans le rétroviseur.
Les mêmes sourcils, le même nez.
Le sourire fané, comme jeté dans un vase au hasard.
Le chauffeur lui fait face, s'approche même, ou bien c'est lui qui avance, il ne sait pas, se contente de graviter.

Un groupe d'enfants qui rigolent à deux pas de là font serrer les poings à Barbara ; à moins que ce ne soit la trop soudaine proximité avec son bourreau, les phalanges blanchies sous la fine enveloppe, les doigts qui veulent craqueler, décimer, déchirer. Mais il reste là, figé. Voit l'autre ouvrir la bouche. Voudrait faire déferler mille enfers sur ce type là, pour lui ruiner la vie, pour se venger du vol de la sienne. Mais il enlève ses lunettes, Barbie, il les enlève, toise l'autre du regard, le visage figé dans une insensibilité si glacée qu'elle finira par fondre en sanglots, tôt ou tard. Et les mots s'évadent, d'eux-mêmes. "Je vous hais."
Invité
avatar
Messages
Rp posté(s)

   
Invité


Cendre de lune,
petite bulle d'écume.
Poussé par le vent,
je brûle et je m'enrhume.


Faire face à ses démons est sans doute ce qui l'effraie le plus depuis cette nuit tragique. Affronter la réalité, c'est admettre qu'il en est l'unique responsable et c'est plongé, plus encore, dans des abysses terrifiantes et douloureuses. A la réalité frappante et aiguisée, il a préféré l'utopie d'un monde qui se noie au fond d'un verre millésimé. Les plaisirs futiles et fugaces sont oxygène lorsque même l'air vous brûle le derme. Alors le voir se matérialiser au coin de la rue, c'est le ramener à tout ce qu'il ignore depuis des mois. Le voir apparaître devant lui, c'est un rappel cruel de tout ce qu'il a perdu et de tout ce qu'il leur a volé. Vie arrachée, dérobée malgré lui... et pour la peine, c'est toute sa vie à lui qui s'est évaporée aussi. Plus de femme pour le soutenir et l'encourager, plus de famille et plus d'amis. Sinon les glaçons qui tintent dans les verres qu'il boit. Triste ironie du sort qui, finalement, ne fait qu'accroître un sentiment de culpabilité qui l'habite depuis si longtemps. Couteau planté dans le coeur. Blessure profonde, saignant avec abondance. Aucun thérapeute ne pourra jamais le guérir, jamais le soigner... l'affronter est peut-être tout ce qu'il te reste comme option pour t'en sortir.
Les mots lui manquent, les lèvres tremblent.
Il l'observe, le regarde.
Et puis, la sentence tombe, irrévocable et implacable.
Trois mots qui arrachent l'arme et provoquent l'hémorragie. Le temps ne se suspend même plus, son regard dévie de sa bouche à ses orbes alors qu'il détaille l'homme qui lui fait face. Le temps est passé sur son visage comme un rouleau compresseur mais ce qui choque Lieb le plus, ce sont les marques laissées par le deuil. Personne n'a jamais précisé que la perte d'un être cher se traduisait aussi de manière physique. Le corps est frêle, maigre. Les épaules sont voutées, les yeux sont marqués. La mâchoire est crispée. Il ne sourit pas Lieb, il contemple son oeuvre... son massacre. Tout ça, c'est sa faute et il le sait. Il passe une main dans ses propres cheveux sans y remettre d'ordre, non, juste pour se donner contenance. Finalement, tout ce qu'il trouve à articuler, c'est : Vous avez bien raison. comme le criminel accepte la sentence et s'avance vers la potence. Déteste moi autant que tu veux, c'est légitime.

Comme j'ai mal
Je n'verrai plus comme j'ai mal
Je serai l'eau des nuages
Je m'abîme d'être moi-même
Avant que le vent nous sème


Il voudrait s'en aller, déguerpir et disparaître. Il ne veut pas rester là, pas devant lui et pourtant, l'instinct l'empêche de tourner les talons. Les yeux se cherchent, danse funeste et macabre. Il se souvient de ses orbes dans le rétroviseur. Il les revoit à chaque fois qu'il ferme les yeux. Il n'oublie pas, y pense constamment. Aucun mot pour alléger leur peine. Ils se comprennent et pourtant ne s'entendent même pas. Chacun sa peine, chacun sa mort. Je donnerai tout ce que j'ai... il ne finit même pas sa phrase, il sait pertinemment qu'il en comprend le sens. Une larme se niche au coin de son oeil, un rien de sel qui s'écrasera sur ses lippes. Goût âcre et amer qu'il connait par coeur, il passe son temps libre à chialer sa vie, son existence. Lorsqu'il n'est pas occupé à voguer sur les mers oniriques de l'alcool et des fêtes. Je n'existe plus depuis, voilà ce qu'il voudrait dire mais se sent bien égoïste d'étaler sa peine à l'homme qu'il a déjà tué une fois, malgré lui. Il serre le poing contre sa hanche, tire sur sa cigarette nerveusement et recule d'un pas. Tu peux t'en aller, si tu le souhaites, il lui laisse l'occasion de le faire. Couper court à cet instant indécis s'il préfère.
Invité
avatar
Messages
Rp posté(s)

   
Invité


Les rues sont pleines, les rues sont vides depuis sa mort, depuis le dernier regard. Barbara s'en souvient comme si cela venait d'arriver ; il en porte les marques violacées comme si cela venait d'arriver ; il ne peut plus dormir comme si cela venait d'arriver. On lui avait dit, plusieurs fois, que le deuil prenait du temps, qu'il faudrait tôt ou tard s'y résoudre. S’y résoudre. C’était affreux, comme terme. On ne parlait pas de la solution d'une énigme, de la chute d'une très mauvaise blague. On parlait de lui, celui qui se levait nu le matin, quittant les draps brûlés de leurs flammes, fumait une cigarette à la fenêtre, devant l'aube, silhouette qui s'était découpée à merveille devant les teintes mauves du ciel pendant tant de matins. On parlait de lui, de sa main dans la sienne, de son corps contre le sien, de ses lèvres, de son nez, de ses bras. Corps fracassé en même temps que la vie l'avait jeté là, et puis en attendant il fallait s'y résoudre. Comme s'il pouvait se faire à l'idée paranormale qu'un fantôme avait tout dérobé à sa vie ; comme s'il fallait accorder tôt ou tard le pardon à ce type en face de lui, qui ne lui avait jamais envoyé le moindre mot, la moindre excuse. Est-ce qu'il lui en voulait, Barbie, de l'absence ? Pas le moins du monde. Mais il aurait aimé, certains soirs du dernier hiver, s'échauffer l'épiderme à même un feu de tristesse déclenché dans les plates explications. Désolé. Comme il aurait aimé le voir s'enflammer, ce foutu de mot de pitié, ce foutu mot qui n'expliquait rien, ni les crissements, ni les fractures, ni les tissus noirs à la cérémonie, ni aucune des putains de larmes qui ne prenaient jamais fin. Fontaine ininterrompue, bien loin de la jouvence on était ici dans les derniers instants du chagrin, ceux qui s'éternisent, ceux qui ravagent corps et âme.

Et puis il lui confirme qu'il a raison, il appuie ça d'un hochement de tête. Barbie voit dans quelques traits le désespoir, la résignation. Ne veut pas savoir ce qu'il en est de ses chapitres à lui. Est-ce que son histoire entière est partie en lambeaux en quelques minutes ? Impossible à savoir, impossible à croire. Qu’est-ce que tu m'as fait ? Il aimerait le lui demander. Victime des pires maléfices, ployé sous de trop lourdes malédictions. Condamné à aimer, à aimer un mort jusqu'à la mort, à aimer à s'en cramer le coeur, à aimer à jouer les phénix sans jamais renaître. Autour d'eux, les passants passent, les voitures roulent, New York continue de vivre. Contrairement à lui, contrairement à eux. Qu’est-ce que tu m'as fait ? Les mots sont juste là, juxtaposent les lippes, pourraient se déverser, mais l'autre reprend, il enchaîne. Tout donner, hein ? "Ça ne serait jamais suffisant pour ce que tu as détruit." Le tutoiement, les mots bruts, sévères, qui glissent, lames qui sortent d'une bouche métallique. Le ton presque robotisé, l'esclandre naissante qui attire quelques regards autour d'eux, derrière les miroirs de fumée nicotinée.

"Ça fait un an et demi que je dors seul. Un an et demi que je veux que tout ça s'arrête. Un an et demi que tu me l'as volé. Et avec lui..." Sanglot naissant étouffé dans la gorge, androïde qui reprend enveloppe humaine, le myocarde qui recommence à palpiter, les mains qui se serrent, une d'entre elles se délie, pointe un doigt accusateur sur l'autre alors que les traits se gonflent, se déforment, curieuse esquisse d'un avatar de colère, d'un avatar chaotique de destruction. "Avec lui, tu m'as tout volé. absolument tout, jusqu'au son de mes rires, jusqu'aux rides de mes sourires. Alors non, je ne veux rien de toi si ce n'est me persuader que tu en mourras, de ce putain de chagrin, comme moi."
Invité
avatar
Messages
Rp posté(s)

   
Invité


Il pleuvait, le jour de son enterrement. Lieb s'en souvient encore. Le ciel partageait leur peine, comme si l'univers tout entier pleurait ce fils parti trop tôt. Sans doute que l'homme qui lui fait face l'ignore mais Lieb était là, ce jour-là. Drapé d'un noir de jais, lui aussi. Chapeau melon vissé sur la tête, cravate serrée autour du coup et mocassin ciré. Le parfait ensemble de l'endeuillé qu'il avait revêtu pour l'occasion, se tenant à l'écart mais pas trop pour entendre éclater la peine commune alors que tous étaient venu le célébrer une dernière fois. Il pleuvait ce jour-là, parce que même la toute puissance, là haut, crevait d'voir son fils arraché à cette vie. Lui qui nourrissait de grands projets, de trop hautes ambitions et qui avait - normalement - encore tant de choses à vivre. Oui, il pleuvait ce jour-là, et lorsqu'il avait vu s'avancer l'époux vers le cercueil, il avait senti quelque chose lui échapper.
Son âme sans doute.
Son coeur, c'est sûr.
La rose qu'avait déposé l'époux sur l'ébène poli s'était paré de tout ce qui faisait Lieb. Lorsque la terre avait avalé le mort, il avait également avalé le chauffeur. J'ai pleuré, ce jour-là, pour la dernière fois. Non pas qu'il n'ait plus jamais laissé sa peine exploser dans ses iris sombres depuis, mais ce jour-là, les atermoiements étaient différents. La peine avait été tranchante, cinglante, elle l'avait marqué au fer rouge, un derme affaibli par tout ce qu'il avait laissé s'échapper en voyant les monceaux de terre recouvrir tout ce qu'il restait de lui. Oui, il avait été présent, ce jour-là, dans l'ombre d'un saule, isolé. Il avait tenu à y assister comme pour se réveiller d'un lent cauchemar. Ce n'est pas possible, ce n'est pas arrivé, alors il s'était pointé et l'enfer s'était déchainé sur lui.
Il parle à peine, il ne sait de toute manière pas quoi dire. Toutes les excuses du monde ne sauraient suffire et pourtant, combien de fois a-t-il hésité à prendre sa plume et les mettre par écrit ? Un million sans jamais le faire vraiment. Entre temps, il avait tout perdu, lui aussi. Cause à effet ou simple coup du sort. Taxi arraché, mariage échoué. Il est seul aujourd'hui, plus qu'il ne l'a jamais été mais ne s'en plaint pas, jamais. C'est le prix à payer et il l'estime pas assez cher. L'homme lui fait face, les lèvres serrées... et puis, il reprend la parole. Les formules de politesse sont rompues, la proximité liée par une mort commune. Les mots sont aussi aiguisés que des poignards dont il perfore le derme à chaque syllabe. Lieb accuse le coup, sans broncher, sans chercher à se justifier. Il a raison, c'est d'une clairvoyance stupéfiante. Il s'abreuve de ses reproches comme si c'était la seule chose qui pouvait encore le maintenir à flot. Déverse ta haine sur moi, c'est tout ce qu'il souhaite. Soulage toi de tes maux, pose les sur mes épaules, parce c'est tout ce qu'il pourrait encore lui offrir. L'index qui le pointe est une arme puissante dont aucune balle ne sort pour brise sa cible. Non, ce n'est qu'un doigt pointé mais sa violence est inouïe. Toi, c'est toi le responsable semble le narguer le morceau de chair qui s'adresse à lui. Lieb ne respire pas plus maintenant qu'avant, comme suspendu aux lèvres de l'illustre inconnu. Pas un étrange, fatalement, puisqu'ils seront liés ad vitam eternam désormais. Un an et demi, ça parait si court et en même temps si long. Lorsque le silence se dresse à nouveau entre eux et que la diatribe est terminée, Lieb s'avance d'un pas, pose sa main sur l'index révolté pour le baisser dans un geste d'une douceur inouïe pour l'ours déguisé. Il ne sourit, bien au contraire, se lit dans ses traits tirés une infinie tristesse dont il n'a jamais plus se séparer depuis cette nuit. Je suis déjà mort. qu'il lui dit, comme une dernière confession. Pas une provocation, ça non. Juste une intime conviction. Tu crois qu'on peut survivre à tout ça ? Car Lieb est persuadé d'avoir laissé tout ce qu'il était dans ce dernier tombeau... il secoue la tête de gauche à droite. Regarde moi, je suis un déchet... j'ai tout perdu et je n'ai plus rien. Je n'existe plus dans cette vie, je n'existerai même pas dans celle d'après. Je t'ai tout pris, j'en suis conscient, et je m'efforce, chaque jour, de m'en souvenir et de me punir pour ça. d'une sincérité troublante, sans orgueil et sans justification aucune. Je continuerai de payer jusqu'à ce que la mort m'éteigne. Pas pour toi mais pour lui, pour vous. Pour ce bonheur que vous aviez et dont je t'ai dépossédé. J'aurais pu m'excuser un milliard de fois depuis cette nuit-là mais rien ne pourra effacer ce que j'ai fait. il marque une pause, l'émotion qui l'enlace soulève son coeur. J'ai envie de vomir, mais il se retient. Je ne veux pas de ta compassion, de ta pitié ni même de ton pardon... je veux que tu saches que je mettrai tout en oeuvre pour que jamais plus je ne connaisse un instant de répit. C'est tout ce que je mérite. et voilà qu'il détourne les yeux. Ma sentence, je la connais, je la mesure et je l'accepte.
Invité
avatar
Messages
Rp posté(s)

   
Invité


Tout s'était effondré, ce jour là, monde Babylone qui avait rompu ses fondations, et le reste était devenu poussière. Larmes poussiéreuses. Râles poussiéreux. Souvenirs qui commençaient à leur tour à se voiler d'un peu trop de gris. Est-ce que l'univers allait devenir monochrome, comme le jour des funérailles, quand il avait ployé le genou, s'était effondré sur lui-même, homme redevenu enfant tourmenté ? Il y avait les Arnauld au complet, tous drapés de chagrin, même ceux qui ne l'aimaient pas, l'amoureux fané. La soeur de Barbie était venue l'aider à se relever, mais elle avait été prise de larmes à son tour, et même le frère n'était pas parvenu à redresser la barre. Le navire avait chaviré, avait coulé dans des eaux trop sombres, trop troubles. Le seul navigateur qui aurait pu reprendre le contrôle était là, dans cette boîte trop obscure, dans cette boîte trop étroite, dans cette boîte à souvenirs, à émotions, à rires, qu'on enterrait sous la terre. Tout était devenu poussière. jusqu'aux coeurs en miettes. La main du chauffeur baisse le doigt accusateur, et Barbie serre plus fort la mâchoire. Quand tu touches mon corps ça me rappelle ce que tu as fait au sien. Il a le coeur qui bat trop fort, prêt à rompre la cage thoracique, et rien ne l'apaise dans les phrases que l'autre murmure, puis scande, puis souffle. Il se veut héros tragique, alors ? Voudrait qu'on pleure ensemble, sans doute, comme si c'était lui qui avait les draps froissés de solitude, lui qui avait les doigts en manque de ceux d'un autre ? Et pourtant, yeux dans les yeux, vague contre vague, Barbara voit la tristesse de l'autre, il sent la culpabilité qui écrase tout, nuage noir qui fait naître orage à même l'Ouranos des cils de l'autre. Si tu pleures, je frappe. Ce serait trop d'un coup, cette violence à ingérer, celle d'en voir un autre tirer une larme ou deux pour un type dont il n'avait pas connu le prénom, pour un amant dont il n'avait pas connu la chaleur ni les maux d'amour.

Il refuse de croire, Barbara, que le fantôme de l'être aimé continue d'hanter les cauchemars et la vie d'un type qui ne les a croisé que quelques minutes. Quelques minutes suffisantes pour tout faire basculer ; pour renverser l'ordre établi des choses ; pour faire disparaître les enfants hypothétiques, les aboiements du chien à Noël quand la famille se retrouverait, dans quelques années ; pour faire disparaître le froissement des papiers cadeaux, le froissement aussi des pétales de rose lors des Saint-Valentin, passées et à venir. Yeux qui se perdent sur les lippes qui crachent toujours plus de regrets, qui crachent toujours plus de douleur. Ça ne devrait pas m'atteindre, pas avec les squelettes dans mon placard, pas avec son squelette à lui si loin. Pourtant, les poings se serrent davantage, il mordille ses lèvres, par peur de craquer, de déverser davantage de larmes, d'inonder la ville entière. Et puis l'autre se tait enfin, fuit des yeux, la caverne de Scylla se ferme, le tourbillon de mots étouffe Charybde. Plus besoin de chasser les remords à encaisser la souffrance d'un autre, non, il peut reprendre le masque froid, celui qui a été dessiné au fil des nuits solitaires à rêver d'un autre monde. Pour lui j'aurais détruit l'univers entier. Pour lui j'aurais mis le feu à Central Park. Pour lui j'aurais pu noyer les terres, assécher les mers. Il n'est plus question de se damner, de commettre des crimes gargantuesques, non, il ne reste que les larmes à assécher, que la peau brûlante à adoucir. "J’ai..." Les mots se brisent, il fronce les sourcils, penche la tête sur le côté. Un sanglot qui se cachait là, sans doute, un peu farceur, comme pour l'empêcher de parler trop brutalement. "Il n'y aurait pas dû avoir de mort cette nuit-là." Comme pour se reprendre, étouffer le ça aurait dû être toi, étourdir le j'aurais voulu que ce soit moi. "Tout est de ta faute. tu as raison de t'en vouloir, tu as raison de souffrir." Il respire, à peine, parce que l'air est lourd, et que son corps entier vit mille tourments. "Mais ne t'avise plus jamais de me dire que tu es mort, de le dire à qui que ce soit. Lui l'est. Ty l'as tué. Toi, tu es là. Toi tu peux pleurer, tu peux t'en vouloir, tu peux rire et putain, tu peux aimer !" Le poing se serre à nouveau, phalanges sur le point d'exploser, visage trop proche, postillons furieux qui brûlent d'acide le visage de l'autre. "J’espère qu'un jour plus personne ne pensera à t'aimer, qu'il ne te restera que ma haine, que ma colère. J’espère que tu t'en rendras compte, que tu en souffriras un peu plus. J’espère que même absent, tu sentiras ma présence, comme je sens la sienne, comme je sens la tienne."
Invité
avatar
Messages
Rp posté(s)

   
Invité


C'est un hiver éternel dans lequel il a plongé à pieds joints.
Chaque fois qu'il ferme les yeux, il sent le sang dans sa bouche, il revoit la carlingue froissée et entend les sirènes au loin. Chaque fois que les paupières se touchent, il revoit le corps sans vie à côté de lui. Mort avant même qu'on ne le lui confirme. Chaque nuit, les lamentations du passager à l'arrière viennent le tourmenter, le hanter, l'empêcher de trouver le repos. Il avait essayé, après être sorti de l'hôpital et avoir retrouvé son domicile, de dormir un peu mais jamais il n'y était arrivé. Pas étonnant alors qu'il ait commencé à fréquenter les établissements ouverts jusqu'aux premières lueurs de l'aube. Tout vaux mieux que les démons cachés dans ses songes, tout vaux toujours mieux que les fantômes dans ses placards.
Un hiver éternel.
Il refuse de se laisser aller à chialer devant lui et pourtant, il sent les larmes qui grimpent et qui l'assiègent. Première fois qu'il lui fait face depuis cette nuit. Instant redouté et pourtant fantasmé à de nombreuses reprises. La tension est palpable, l'atmosphère électrique. Lieb l'accepte, à bien des égards. Il sait exactement ce que l'autre voit quand il le regarde. Il sait exactement ce qu'il ressent à se retrouver face à lui. Cette nuit lui colle au corps à chaque minute, chaque seconde, chaque instant. Il a cessé de vivre en même temps que le bruit des sirènes, il a cessé d'exister à l'instant même où il a ouvert les yeux sur le volant de son véhicule, juste après l'accident. J'aurais dû crever, il le pense à chaque instant. Et c'est ce que le regard sévère de l'homme lui renvoie. C'est toi qui aurais dû crever, il semble prononcer en silence alors que sa mâchoire se crispe autant que le reste de son corps. La réponse est sans appel... je suis mort, Lieb le pense mais il savait pertinemment que l'information serait mal reçue. Il n'est pas étonné, il prend.
Match perdu d'avance, il a déjà retiré les gants. Frappe moi autant que tu voudras, il semble supplier du regard alors que les reproches fusent et lui écorchent le derme. Il ne baisse pas les yeux, ne détourne même plus le regard. Il affronte les reproches et la culpabilité de visu. Depuis le temps que je voulais y mettre un visage. L'homme représente tout ce qu'il s'inflige depuis des mois, tout ce qui le hante depuis des mois. Les mots sont forts, poignants. Il entend la haine, mais il entend aussi la détresse et la souffrance. Il entend les sanglots qui ne se montrent pas, ceux qui sont coincés dans la gorge et qui viendront le surprendre quand il sera seul. Il sait que l'époux a pleuré de tout son soul, qu'il pleure sans doute encore sans discontinuer. Ta peine est ma peine, il voudrait dire. Je veux bien te soulager de ce fardeau, te donner le droit de rire, d'aimer et sourire à nouveau. Brusquement, c'est comme si Lieb était prêt à tout pour celui qu'il a brisé. Prêt à mettre le feu à Central Park, lui aussi, pour le défaire d'un poids dont il est l'unique responsable. C'est déjà le cas. qu'il s'entend prononcer, péniblement.
L'hiver éternel, toujours.
Il y pense constamment, Lieb. Comme s'il naviguait dans un monde sans couleur, sans odeur... comme s'il évoluait dans la poudreuse jusqu'aux genoux, dans un monde où le temps ne s'étire pas de la même façon. Comme s'il existait dans une réalité parallèle où plus personne ne lui porte attention, ne semble le remarquer. Que tu me croies ou pas, je n'suis plus personne. il hausse à peine les épaules. Je n'ai plus que vous en souvenir, je n'ai plus que toi en tête, à chaque instant, chaque seconde. confidence à peine voilée, ton monocorde et sans aucune autre intonation de la mélancolie âcre qui s'accroche à son corps tout entier. Je me tiens finalement devant toi, après tout ce temps... si tu dois frapper alors fais-le, je suis prêt à prendre les coups. il écarte les bras, péniblement. Tout est lourd, tout est effort. Dans les méandres d'une vie où chaque geste lui impose souffrances inégalables, il est celui qui se sacrifie. Tue-moi, si seulement ça peut le faire revenir. Si tu crois un seul instant que j'en suis retourné à ma vie après cette nuit, je voudrais que tu comprennes que ce n'est plus le cas, ça n'a jamais plus été le cas. Si tu penses que j'estime que ma punition est suffisante au malheur que j'ai causé, alors tu te méprends une fois encore. il souffle, sans âme. Je continuerai de payer ad vitam eternam pour ce que je t'ai fait. Je n'espère pas expier mes fautes ni rattraper mes erreurs, bien au contraire. Je n'ai besoin que de souffrir pour lui rendre justice. Je n'existe plus, je te l'ai déjà dit, dans la vie des gens qui m'étaient proches... depuis que je t'ai vu t'effondrer sur son cercueil, je n'ai jamais cessé de m'auto-saboter.
Un silence.
Un simple silence. Tout ce que j'espère, c'est qu'un jour, je pourrais me parer de tes souffrances pour t'en libérer et te permettre, alors, de renaître un peu. c'est pas grand chose, même pas une promesse, mais c'est ce qu'il fait, depuis cette nuit. S'arrêter de vivre pour lui laisser le peu d'oxygène qu'il leur reste à respirer. On est trop de deux pour exister ici, Lieb l'a compris le jour où l'époux a été enterré. Depuis, tout ce qu'il s'inflige, c'est pour qu'un jour le bonheur le contourne et rende visite à l'homme qui lui fait face.
Invité
avatar
Messages
Rp posté(s)

   
Invité


Valse incessante des corps qui les entourent, de tous ces badauds qui partent vivre leur vie, rejoindre une maîtresse ou acheter des roulés à la cannelle sans même savoir ce qui peut se tramer dans l'échange virulent. Il n'y a plus de doigt pointé, et même le tissu des pantalons semble s'être lissé, bien loin des poings serrés qui grattaient le fond des poches. Il n'y a plus une brise non plus, pour porter au loin les quelques explosions de voix incontrôlées, dans ce champ de mines qu'ils traversent depuis qu'ils ont croisé le regard. Barbie regarde celui qui lui fait face avec une foule de sentiments contradictoires ; eux ne passent pas, eux ne sont pas portés par la brise. Il voudrait le décimer, par vengeance, lui arracher le coeur ou bien la langue, pour l'empêcher d'à nouveau chantonner la litanie funèbre. Il voudrait pleurer, pour le regarder se décomposer un peu plus, jeu malsain qui ne lui apporterait sans doute rien de bon. Une infime partie, moléculaire presque tant il s'évertue à la chasser de ses pensées, voudrait l'expier, lui accorder le pardon, mettre ça sur le dos à pas de chance. Ça, c'est la fin de lui. Ça, c'est le lit vide, le coeur vide, le monde vide. Il voudrait aussi juste du repos, un instant loin de tout, à ne penser à rien. Pensée égoïste, s'il en est une, mais il voudrait même, le temps de quelques secondes, l'oublier, l'amoureux perdu, histoire de se rendre compte que son coeur n'est pas entièrement déchiré, histoire de ne pas subir la douleur aiguë pendant quelques minutes seulement. Se perdre dans un désert, s'enfouir dans des dunes d'inadvertance, s'enliser là et sans doute dépérir dans la plus parfaite de toutes les inconsciences.

Mais le sable est loin, le repos aussi. Il n'y a que le type en face qui se confond encore en excuses, et il aimerait, Barbara, que ce soit si simple. Mais dès qu'il ferme les yeux, sur ses paupières se projette le film infernal ; l'échange de regards dans le rétroviseur, le lampadaire rosé que l'on avait dépassé, l'eau partout, comme il avait plu, et puis le grain de riz dans les cheveux de l'époux décimé ; les doigts qui cherchent dans les mèches comment le retirer, yeux lourds de sommeil, la main qui balaie le vide alors que tout dégénère. Explosion sensorielle, la vue qui s'affole, le coeur qui explose, l'ouïe qui devient aveugle, les sifflements intenses, le rapide coup d'oeil. Un avait les yeux ouverts à l'avant, l'autre avait les iris fauchés déjà par Thanatos. Ce n'était pas la bonne répartition, pas le casting idéal, et pourtant le film était celui qui restait à chaque fois dans son crâne. Comme un souvenir intemporel, comme s'il fallait subir chaque nuit le même supplice pour oublier que sous Nyx les choses pouvaient être plus douces.

"Je refuse tout ça." Mains qui balaient l'air, se croisent sur le torse. posture contrariée, visage froncé comme les sourcils, traits qui s'animent d'exaspération. "Je refuse que tu trouves le repos par moi. Je refuse que tu trouves le repos tout court. Tout ça, c'est de ta faute, merde !" Il ne voulait pas parler si fort, attirer quelques regards sur eux, et pourtant, le ton est monté seul, porté par un regain du vent, zéphyr farceur qui entraîne les syllabes et attire la stupéfaction. Ils doivent se demander quel spectacle je te fais dans la rue. Qu’ils aillent tous se faire foutre, pas vrai ? "Tu pourrais payer de tes larmes pendant une éternité entière que ça ne changerait rien. Tu me l'as volé, tu l'as assassiné devant moi. Tu m'as détruit, putain, tu l'entends ça ? Tu m'as détruit !" Personne n'ose trop s'approcher, sans doute inquiet de se brûler l'épiderme aux couleurs de sa colère, et pourtant les iris se font plus nombreux, sur leurs échanges, champ de fleurs qu'il cramerait volontiers, Barbie. "Tu n'es pas puni, tu l'auras oublié dans cinq, dix, vingt ans peut-être ! Et moi, qui viendra me demander comment les choses se passent ? Qui arrivera à me regarder sans penser au fantôme que t'as tué à un mètre de moi ? Qui va pouvoir un jour se dire que je suis autre chose que veuf, que je suis la seconde victime de ce soir-là, qui va réussir à oublier l'empreinte que t'as laissé sur moi ?" Une larme coule, il l'essuie d'un revers de manche, les lèvres tremblantes, d'une main saisit le visage de l'autre, pouce et index qui encerclent joue et menton. "Toi, tu pourras te reconstruire, toi tu pourras même considérer que c'est le passé. Moi, il me manquera toujours. Moi, j'aurais plus jamais le droit d'aimer. J’ai pas ta chance, et je l'aurais plus jamais. Alors arrête de me faire croire que tu comprends, que j'peux renaître, arrête ça parce que... Parce que putain, c'est juste la preuve que tu peux pas comprendre !" Le juron qui jaillit en même temps qu'il s'écarte, écrase une nouvelle larme, baisse les yeux vers le sol, juste pour pas voir de la pitié derrière le rideau de cils de l'autre.
Invité
avatar
Messages
Rp posté(s)

   
Invité


Personne ne se relève jamais de ce que l'homme a traversé, il en est bien conscient, Martens. Il sait que peu importe ce qu'il dira ou tentera de faire, rien ne pourra jamais lui faire oublier le poids de ce qu'il a perdu, cette nuit-là. Alors il accuse le coup, comme le coupable qui reconnaît ses torts. A quoi bon lutter de toute manière, il sait que tôt ou tard, la punition tombera. A l'époque, il avait même espéré qu'on l'arrête, qu'on l'emprisonne. Tout plutôt que d'une vie d'innocence alors que j'ai ôté une vie, mais l'enquête avait débouché sur un non-lieu. Il n'y avait pas trace d'alcool dans le sang de Lieb ni même preuves qu'il ait consommé des substances. Non, il y avait juste une maladresse équivoque du chauffeur et un accident, comme il y en a tous les jours. C'était déplorable, même pour lui. Il avait regretté ce verdict mais n'avait même pas cherché à faire appel. Pourquoi voudrais-tu finir en taule ? Ce sont les derniers mots d'une soeur bouleversée et désespérée à l'idée que son unique frère finisse menotté et emprisonné. Elle ne pouvait pas comprendre, bien pour ça qu'il s'en était détaché, comme du reste. La seule condition à cette putain d'liberté, c'était la thérapie qu'il suivait aujourd'hui depuis des mois, des semaines et qui n'avait pour résultat que de l'enfoncer chaque fois un peu plus le nez dans sa propre merde.
C'est sa faute, il en est conscient alors quand l'homme se met à parler plus fort et que les regards se posent sur eux... il ne réagit pas. Il laisse faire, il laisse dire. Les coups, il les prendrait presque avec le sourire si sourire n'aurait pas été parfaitement déplacé dans cette situation. Les badauds s'inquiètent. Ils ne devraient pas car ce qu'il se passe entre Lieb et l'homme concerné, ce n'est que le juste retour des choses. Le boomerang qui revient, après une course folle, et qui lui arrache le peu d'estime qu'il avait encore de lui. Les larmes de l'homme sont aussi aiguisées que des poignards. Le coeur s'emporte, le sang frappe contre ses tempes. Il voudrait pouvoir l'alléger de ce fardeau mais c'est impossible. Alors il reste impassible, Lieb, pareil à une poupée sans âme. Complètement amorphe mais pas insensible. Les mots, les larmes, tout lui fait l'effet d'une bombe. L'homme, sans le savoir, enfonce sa main directement dans sa poitrine et lui retire tout ce qu'il restait de son coeur. Maintenant je sais, réelle prise de conscience. Je sais pourquoi je ne dors plus, c'est une évidence. Je sais pourquoi je ne guéris pas, là aussi, clairvoyance certaine. Lieb existe en parallèle de cet homme, coeurs connectés, âmes conjuguées. Même s'il ne l'admettra jamais, Lieb le sait, c'est parce que lui ne s'en sort pas qu'il ne s'en sortira pas non plus. Destins croisé, destins liés et figés. Alors que faire ? Quand il voit l'autre détourner enfin les yeux et écraser sa paume sur son visage pour essuyer une dernière larme. Que faire ? Parce qu'il voudrait pouvoir le toucher, poser ses mains sur ses épaules et l'enlacer, le réconforter, lui dire que ça passera un jour ou l'autre mais...
On ne guérit jamais de ce qu'on perd.
C'est comme ça. On ampute notre corps d'un membre et on passera notre vie entière à croire qu'il existe encore, à le sentir encore. Il serre la mâchoire, serre les dents. Il laisse le silence les envelopper doucement avant de reprendre la parole. Ton doux, tendre. T'as raison, j'peux pas comprendre. il commence. Et personne pourra jamais comprendre ce que tu traverses. T'as raison, c'est égoïste de ma part et j'ai pas le droit de me placer en victime quand je suis seul responsable de tout ce que tu as perdu. il marque une pause, cherche ses mots. Je crois que la première chose que je devrais faire, c'est m'excuser, sincèrement. son corps se met à trembler, la pression est trop forte. Il sent le manque qui s'pointe, il sent son ventre qui grogne. Un verre, juste un verre, mais il peut pas s'en aller, il peut pas partir maintenant. Il croit fermement que la vie lui envoie un signe en mettant cet homme sur son chemin, après tout ce temps. Tu ne renaîtras pas, c'est vrai... c'est particulièrement injuste de ma part de prétendre souffrir pour expier mes péchés quand rien ne pourra jamais le ramener. il cherche à capter son regard, son attention. Je... ce que je vais te dire n'a aucun sens, surtout maintenant mais... il reprend son souffle, calmement. Je connais un endroit en dehors de la ville, si tu veux, je pourrais t'y conduire. Une parenthèse, ailleurs, loin de tout ça, peut-être que ça te ferait... du bien. mais il sait que c'est utopique, presque stupide... il sait bien que l'autre n'a aucune raison de lui accorder ce droit là, celui de le soigner, pour autant, maintenant qu'il sait que son destin est scellé au sien, Lieb voit les choses sous un autre angle.
J'ai passé tout mon temps à tenter de me soigner,
mais c'est sur lui que j'aurais dû me concentrer...
Invité
avatar
Messages
Rp posté(s)

   
Invité


Envolées lyriques de la rue, le klaxon d'un bus, ou peut-être celui de trois voitures, les pneus crissent, les gens parlent fort, crient presque, ça rappelle une fois de plus à Barbie cette nuit-là. Celle qui s'est gravée à renfort de silex sous ses paupières, à renfort d'encre sur son bras. Tatouage dans le derme, tourbillons sur la peau, là où Lui faisait rouler son pouce, pour calmer son anxiété. Décharges d'endorphines oubliées à tout jamais ; enfin, abandonnées, puisque l'encre sur la peau s'était chargée de faire en sorte qu'il n'oublie jamais. Comme si c'était seulement possible, d'oublier. De mettre de côté les éclairs qui se déchaînaient sur l'enveloppe au simple toucher de son âme perdue. Non, je n'oublierais jamais. Comme un beau serment, une promesse parmi toutes celles qu'il avait envisagé de se faire poser à même le cuir. Des centaines de mots, des centaines d'écritures, des centaines de moments volés au passé qu'il aurait aimé esquisser. Comme pour faire de son corps la galerie sublime des arts qu'Il avait amené dans sa vie - galerie funèbre, maintenant, comme l'étaient leurs noces, sans possibilité d'happy ending. Le soleil n'allait pas tarder à dépérir à son tour, à glisser des tentures rougeâtres ou orangées sur les buildings, sur les reflets du bitume, sur les yeux des passants qui cesseraient enfin de s'attarder sur le curieux duo de furies qui s'échinaient à déchirer le cardiaque voisin. La pitié, il la voit dans son regard, il voit l'os de la mâchoire cliqueter, il voit la gêne, brusquement, bien plus prégnante qu'au début de leur échange, et Barbara songe pendant quelques secondes à disjoncter. À envoyer des étincelles aux quatre coins du carrefour, à incendier les arbres, à faire exploser les bouches d'incendie. L’eau exploserait, viendrait peut-être bouillir sur son front brûlant, et les gouttes donneraient des allures de bronze à la rue. Une pluie cuivrée, aux seuls reflets carmins colériques de Barbara, yeux noirs braqués sur le type en face de lui, iris braqués sur la bouche comme pour voir en combien de mots encore il peut creuser sa propre tombe. "En voilà, une excellente idée. Me conduire, hein ?" C’est craché, presque vociféré, et il sent monter en sa cage thoracique de nouveaux feulements, tigre prêt à bondir. Comme s'il s'était contenté pour l'instant d'aiguiser les griffes, comme s'il allait cette fois pour de bon se faire un manteau des sentiments arrachés de l'ennemi - le terme est fort, il le sait, mais comment qualifier autrement quelqu'un que l'on ne pardonnera jamais ?

"Tu prévois de faire quoi, exactement ? Un combo ? Un multiplicateur de score ? Non mais..." Il se frappe le front de la paume gauche, fait deux tours sur lui-même, capte quelques regards, spectateurs qui décidément ne désertent pas la scène du crime, et puis il se rapproche un peu plus, plante ses yeux directement dans ceux qui lui font face, l'index pointé cette fois-ci à même la chair, sur le coeur de Libe, il le sent battre. Et ça le rendrait presque encore plus furieux. "Par pitié, est-ce que tu peux t'écouter juste dix secondes ? Même en mettant de côté l'aspect de te revoir au volant, le traumatisme absolu..." Yeux levés au ciel, la voix qui baisse enfin, certains soupireront sans doute de ne pas avoir le dénouement de la tragédie romaine qui se joue sous leurs yeux scrutateurs. "Tu t'attends à quoi, exactement ? À un road trip façon meilleurs potes, des bières, la tente, le feu de camp ? Une lune de miel comme celle que tu nous as volé ? Parce que... Non, vraiment, j'comprends pas. J’ai beau essayer de me convaincre que t'es pas qu'un sale connard, à chaque fois t'arrives à l'ouvrir et à faire pire. Je..." Voix qui se brise à nouveau, sanglot étouffé dans une expiration colérique, le torse entier soulevé, la main sur le front, celui-ci secoué avec le reste de la tête, incapable de trouver d'autres mots.
Messages
Rp posté(s)

   
Contenu sponsorisé