ne pas laisser tomber. (jay et kennedy)

Moto. Boulot. Repos. Cycle infernal, cycle douloureux parfois qui laisse des cicatrices, le souffle court et les cauchemars trop présents. La violence du métier est incompréhensible tant qu’on ne la vit pas. L’épreuve du feu est dure, elle peut provoquer des traces indélébiles. Il essaie tant bien que mal de ne pas y penser, de profiter du temps qui est libre et de la douceur de ce quotidien. Seulement, il doit aussi se confronter au travail, et la semaine était compliquée quand on sait qu’il y a eu de nombreuses interventions très compliquées : des sauvetages dans des incendies qui ont quand même fait des victimes ; des évacuations de civils pris au piège dans des bâtiments condamnés qui étaient censés être fermés au public ; des malaises à volonté avec des journées très chaudes et qui font des dégâts dans certains espaces hospitaliers pour personnes âgées. Il devait absolument être à cent pour cent pour toutes ces individus qui avaient besoin d’eux, qui avaient besoin des pompiers à cause de leurs urgences personnelles.

Mais aujourd’hui, il doit faire quelque chose d’important, quelque chose qu’il n’a pas fait depuis quelques jours et il s’en veut. Ken passe rapidement dans un restaurant indien pour commander deux portions de dhal, un plat traditionnel qu’il demande à emporter. On lui tend rapidement un sac en papier contenant ses plats pour ensuite les mettre dans son sac à dos et enfiler son casque pour remonter sur sa moto afin de rejoindre le poste de police dans le quartier de Manhattan.

Voilà plusieurs jours qu’il n’a pas été voir son meilleur ami, et il s’en veut. Quatre ans que leurs relations ne sont plus au beau fixe, quatre années qui sont devenues violentes à cause des remarques, des douleurs qui se ressentent et éclatent. Kennedy comprend le comportement de son ami, mais il ne cautionne pas, et il a toujours été là, combien même il avait lui-même besoin d’aide, de soutien. Jay n’était pas là, alors que Ken était présent, et même s’il comprend, il ne cautionnera pas. Ce qu’il n’apprécie pas non plus, c’est sa violence, c’est sa verve acide qui lui éclate parfois à la figure et les mots durs qui viennent s’écraser dans ses ouïes. Et pourtant, il est là, malgré tout, parce qu’entre potes, on s’entraide, et ça a toujours été comme ça pour lui. Ce qu’il faudrait, c’est aussi que Jay se rende compte que sa colère est vaine, mais ça, c’est encore une autre affaire.

Kennedy finit par se garer sur le parking du poste et éteint le moteur de son véhicule avant de retirer son casque pour aller entrer dans le bâtiment. C’est un habitué, il vient régulièrement, et la plupart des agents de police le connaissent puisqu’ils travaillent ensemble à de nombreuses reprises sur des affaires qui peuvent être criminelles de façon intentionnelle ou non. Il salue certaines connaissances avant de rejoindre le bureau de son meilleur ami. Il pose alors son casque sur le meuble sur lequel travaille encore Jay et il le fait de façon un peu brusque, parce qu’il veut se signaler.

— Salut vieux.

Il finit par tirer une chaise qui traîne à côté pour s’asseoir et met son sac à dos au sol. Rapidement, un constat, il regarde Jay, et quand il le voit vraiment, quand il observe ses traits, il a envie de grimacer, mais il se retient, pas encore envie de se manger une réflexion.

— T’as une sale gueule, tu le sais ça ? C’est quand la dernière fois que t’as mangé ?

Ken prend le sac en papier contenant les deux repas et en donne un à Jay, simplement parce que oui, il est déjà tard dans la soirée et qu’il doit se nourrir, malgré sa colère, il est comme tout le monde et s’il ne se sustente pas, il finira par tomber comme une mouche.

Concentré sur son ordinateur, Jay rédigeait le rapport sur la dernière enquête qu’il venait de clôturer, le coupable de ce meurtre atroce ayant finalement été arrêté. La majorité de ses collègues était déjà rentrée, cependant lui n’avait aucune intention de bouger. Même si l’affaire était terminée, il y en avait d’autres qui n’étaient pas clôturés, puis lui avait élu domicile au commissariat de toute façon. Le pourquoi il était bien souvent le premier présent au bureau le matin suivant, quand il ne s’était pas échappé autre part, après un coup de fil indiquant la découverte d’un nouveau corps. Ses traits étaient fatigués, causés assurément par le manque de sommeil et les insomnies, et il avait probablement encore maigri depuis la dernière fois. Parce qu’il ne prenait jamais la peine de manger correctement, que la plupart de ses repas étaient toujours des plats instantanés ou des snacks rapides achetés à l’épicerie du coin. Chaque minute était cruciale, il ne souhaitait pas perdre du temps inutilement, et surtout il n’avait pas souvent l’appétit.

Le jeune homme entendit le mouvement autour de lui, toutefois il n’y prêta pas particulièrement attention. Comme toujours, il était dans son propre monde, ignorant volontairement les personnes qui l’entouraient. Seulement, on ne lui en laissa pas le choix, l’obligeant à relever les yeux avec un bruit fort. Un soupir s’échappa machinalement de la bouche du policier, alors qu’il reconnaissait immédiatement son meilleur ami. « Qu’est-ce tu veux ? J’ai pas le temps. » Lui rétorqua-t-il d’un ton neutre, reportant rapidement son attention sur son écran. « Qu’est-ce que ça peut te foutre ? » Toujours aussi sympathique le jeune Anderson. Toujours aussi cinglant également. Parce qu’il en avait assez qu’on lui commente son état, il en avait assez qu’on se mêle de ce qui ne les concernait pas. Si lui était bien ainsi, quel était leur problème ? Apparemment, Kennedy avait plus d’un tour dans son sac, ce dernier lui donnant alors un repas qu’il avait apporté. Le policier l’observa en silence de ses yeux sombres, le regardant avec interrogation, avant de le prendre, sans pour autant daigner le remercier. Et s’il ouvrit le paquet, en prenant quelques morceaux, sa concentration était de nouveau rivée sur son ordinateur. Son meilleur ami lui rendait visite, il était ici très certainement pour prendre de ses nouvelles, puisque comme toujours, ce dernier ne le lâchait pas. Peu importait les sales réflexions que Jay avait pues lui faire, et lui faisaient encore, Kennedy restait à ses côtés et encaissait. Il supportait. Une attitude pour laquelle le garçon était sûrement reconnaissant en réalité, puisque sans ça, cela ferait bien longtemps qu’il se serait écroulé. Hors, il ne le lui rendait jamais correctement, parce qu’il ne parvenait pas à se défaire de cette rage violente qui le dévorait à petit feu, de cette peine qui l’enfonçait un peu plus chaque jour, et l’empêchait de voir la lumière au bout du tunnel.