j’me détruis un peu chaque jour, c'est ma vie (wes)

honte hasardeuse, comme un poison glissant sous l'épiderme, infectant chaque petite veine. le gamin se redresse et tente de souffler. respirer. rien qu'un morceau d'air. rien qu'un soupçon de vie. léger son pour le sortir de sa torpeur, de ses peurs. ambroise se décale seulement pour retrouver les coussins moelleux du canapé. tête rejetée contre le dossier, nouveau soupir s'échappe des lèvres gercées, abîmées. les secondes défilent sans qu'il ne les compte. le temps, notion abstraite le bouffant jour après jour. nuit après nuit.
une pilule pour qu'il se décuple.
le manque, pour qu'il l'agresse la seconde suivante.
en attendant, ses doigts se déplacent sur son visage, tentant de ramenant un semblant de courage, un semblant de fierté. rien qu'un morceau d'envie et de détermination. tout déballer à wes a retiré ce poids, ingrat et sinistre. maintenant... il n'a plus le choix. ne pas décevoir, ne pas les décevoir. ne pas le décevoir, surtout. se reprendre. redevenir ce gamin solaire, ce gamin sympa, drôle et parfois lunaire. se battre, rien que se battre.
ambroise a envie d'y croire ce soir. simplement parce qu'il est là et qu'ils se sont dits pour la vie. une vie ensemble ou rien. presque rassuré, l'odeur des plats qui aguichent les papilles.
un regard vers les sacs en papier. c'est vrai que ça sent bon ! viens j'ai fait de la place ici. petite table basse pour accueillir leurs encas du soir, celui commandé à la hâte. ambroise déballe, tente d'aider et de participer. si seulement il pouvait être autre chose qu'un poids. si seulement... t'avais pris quoi encore ? tu dois bien avoir des trucs dans ton frigo non ? le gamin se relève pour trouver de quoi subvenir à son frère. porte glacée ouverte à la recherche de la substance. frigo un peu trop vide... mais comment en vouloir à wes ? bien plus responsable qu'ambroise, wes travaille d’arrache-pieds. s'acharne à la tâche, constamment. comment pourrait-il trouver le temps de faire des courses ? les doigts s'enroulent autour d'une canette de bière. pas la meilleure marque mais ça fera l'affaire. il attrape aussi la bouteille de soda à moitié vide pour revenir. tiens t'as ça au moins. faut pas que tu finisses déshydrater. puis ces trucs sont plein de sels, tu vas finir par crever de soif. qu'il explique son geste.
sa main tendue.
comme si lui aussi, il pouvait lui être utile.

installation à la hâte, table basse qui accueille les victuailles - enfin, en partie. le fantôme de la sonnette qui retentit et trouble l'ambiance est déjà loin, comme celui de la bière avalée en cachette, le coeur qui bat encore fort. Wes a le coeur qui bat la chamade, pas de honte, pas même de colère contre cet univers qui a blindé son âme jumelle de trop de fardeaux à porter, non, uniquement de la peur qu'il a eu. peur qu'Ambre surgisse, peur qu'Ambre pose des questions. est-ce qu'il aurait encore eu le droit de l'aider, le droit d'essayer de saisir les SOS pour mieux le sauver ? impossible à savoir, et tant mieux ; Ambroise ne l'a pas surpris, la bouteille de verre émeraude a rejoint ses comparses, et le goût même de l'alcool est déjà loin. Wes est soulagé, peut-être par le jeu de l'alcoolémie, peut-être aussi parce que ça y est, ils sont absorbés dans autre chose. nourriture trop salée, il sait déjà que son frère le soulignera, il l'a fait à chaque fois, et à chaque fois ça fait sourire Wesley. "non, mais t'inquiètes, t'embête pas..." trop tard, le brun est déjà parti en cuisines. est-ce qu'il va voir l'armada des bouteilles achevées ? est-ce qu'il va pouvoir deviner, ou du moins est-ce qu'il va revenir le bras chargé d'un carnet pour mieux noter toutes les réponses de l'avocat ? il déteste les interrogatoires. il déteste ainsi voler la lumière, quand il la voudrait braquée uniquement sur son meilleur ami. c'est Ambroise, qui mérite les projecteurs. Ambroise qui a besoin que le monde l'enlace, qui a besoin qu'on s'occupe de lui. Wesley s'est toujours occupé de lui seul, comme un grand. il n'a besoin de personne. et en sauvant son ami, peut-être sauvera-t-il aussi son âme ? Ambroise revient, les bras chargés de soda et d'une bouteille de bière posée là, entre la nourriture et les hontes de Wes. rire forcé, sourire contrarié ; est-ce qu'il va vraiment oser ? "tiens j'avais pris ça, justement. bon, de la black IPA, mais ça reste de la bière. merci, hermano." il sourit, trinque avec le gobelet d'Ambroise, et la bière est décapsulée, dans un bruit de micro-explosion ; on jurerait presque que va s'en échapper la fumée de tous les mensonges, la brume qui remettra leurs âmes à découvert. "bon appétit, du coup." grande gorgée de bière avalée avant même qu'il ne songe à taper un croc dans le burrito encore soigneusement emballé face à lui. pas parfait dans ce jeu de reflet, Wesley n'est plus habitué à partager sa vie ni des repas avec les autres ; c'est la première fois depuis des semaines qu'il s'assoit pour véritablement manger, en dehors des sempiternels dîners chez les parents. il s'était habitué aux chips, aux parts de pizza, à ce qu'on peut grappiller en attendant que le verre soit rempli. la bière est finie très vite, il la met de côté, commence enfin à manger. "pu... rée, c'est toujours aussi dingue Chipotle." il dit ça la bouche à moitié pleine, hyper impoli, mais ne s'en soucie pas plus que de raison. "tu te rappelles quand on y avait été avec... comment il s'appelait déjà, tu sais, mon pote de la fac... bref, on s'en fout." il finit de mâcher cette fois, pour mieux terminer son histoire ; les trous de mémoire sont fréquents en ce moment, et qu'un prénom lui échappe est mauvais signe. "non, on s'en fout pas, j'arrive pas à me souvenir, ça me rend dingue. attends." le burrito est posé sur la table. il s'énerve, il a les tempes qui s'agitent, qui brûlent un peu trop. les poings serrés, phalanges blanchies, il se laisse tomber la tête en arrière, devient muet, perdu dans la galaxie des souvenirs oubliés ou émiettés ; et il cherche surtout à distancer l'alcool, deux bières avalées lui font la course et il ne veut pas qu'Ambroise se rende compte, alors son cerveau est en marathon. il déteste oublier, déteste s'enivrer ; mais l'un lui est indispensable, désormais, et l'autre en devient la cicatrice.