cent masques pour un seul visage

Masques.

On les revet, tous et toutes, lorsque s'en parer sert nos desseins. Parfois, il est question d'embellir son apparence: le masque devient un accessoire, propice à être remarqué. Il s'agit là d'un objet de conversation: on désire l'exhiber, fièrement, sous tous ses aspects. La vanité est un vilain défaut.

Masques.

Ils peuvent également être une présence sécurisante. Une protection, contre les dangers. On les revêt, pour cacher, dissimuler, les plaies ouvertes, la peau à vif. Dans ces moments là, ils épousent le corps, s'y greffant si parfaitement qu'il est difficile de les remarquer.

Masques.

Parfois, il s'agit d'un jeu. Le désir, le frisson. Celui d'être autrui. De sortir de sa vie, quelques instants, pour pouvoir se complaire dans une existence parallèle à la morne réalité. Ces masques là sont les plus délicieux. Lorsqu'on les revêt, on devient quelqu'un d'autre.

Mais qui est on, exactement?

L'homme mystère aux identités multiples, aussi évasif qu'une chimère, aussi complexe qu'un drap de soie. Chaque nouvel angle révèle une nouvelle couleur, un nouveau reflet, un pli jusqu'alors inexploré. Attention de ne pas trop vous approcher de l'étoffe, vous risquez de vous perdre entre ses filaments traitres.

On vit une belle vie, à New York. L'Upper East Side. Une aura de fierté semble émaner de chacun de ses pas, chacun de ses mouvements. Certains l'appelleraient arrogance. Une ombre de mystère plane toujours sur soi, obscurcissant chaque imperfection, la dissimulant sous des couches d'artifice et de performance exemplaire. Qui est-on, si ce n'est les projections des attentes de son entourage?

Pour certains, on est un bon ami. Toujours présent pour une escapade en ville, toujours partant pour une nouvelle aventure. Le sourire chaleureux, le regard espiègle. Il y a une richesse et une complexité dans ses traits qu'il est difficile d'ignorer.

Pour d'autres, on est le voisin idéal. Calme, composé. Discret. Qui ne créé pas de vagues, ne cause aucune histoires. Et surtout, qui n'est (presque) jamais là.

Mais où disparaît-on, dans ce cas, si l'on n'est jamais chez soi?

Au travail, bien évidemment. Wall Street ne dort jamais. Et là bas, on est l'employé modèle. Ambitieux, assoiffé de succès et de nouveaux sommets. Dépendants du travail, dont on s'enivre inéluctablement. Désespéré à l'idée de réussir, et d'assouvir ce « rêve américain » qui le garde éveillé la nuit.

Parlons en, justement, de la nuit. Celle où l'on sort, vêtu de Tom Ford et d'Armani. Être trader est une carrière tout à fait honorable... Mais est-ce que cela suffit à financer un train de vie d'opulence outrageuse? On affirme que oui. Il suffit de faire de bons investissements. Mais la vérité est toute autre.

On touche dans plusieurs affaires plus ou moins légales, avec des amis plus ou moins fiables. Certaines fonctionnent. D'autres se soldent inévitablement par des échecs. Heureusement pour soi, il y a une troisième et conséquente entrée d'argent qui permet de subvenir à ses besoins.

Si l'on dort rarement chez soi, c'est notamment car ses soirées sont consacrées à des rencontres plus ou moins honnêtes, avec des prétendants plus ou moins respectables. La discrétion est de mise ; les revenus sont conséquents. Vous seriez surpris à

Mais la nuit tient surtout éveillé.

Pour chaque soirée passée accompagné, se trouve une soirée passée seul, à observer le plafond de son appartement, privé de toute compagnie, contraint de se livrer à ses pensées et à ses démons intérieurs.

Elle est là, la sombre vérité des masques: ils puisent leurs forces dans les regards auxquels ils se confrontent. Sans public, ils ne sont que des masques.

Alors, on se console, avec un rail de coke, ou deux. Tout pour atténuer ces idées noires qui rongent, de l'intérieur, et contre lesquelles on ne sait pas s'armer.

Le véritable danger des masques, cependant... C'est qu'à force de trop en porter, on finit par en oublier qui on est réellement.