éteindre les ombres (nodï)

C’est pas une bonne idée, Nova. Affirmation que tu te répètes alors que tu viens de claquer la porte du penthouse que tu abandonnes sans un regard en arrière. C’est si facile de tout lâcher et de partir ces derniers temps que tu es devenue une experte en la matière. Quitter New-York pour Rome. Quitter Rome pour New-York. Et maintenant, tu quittes ton chez toi pour te réfugier chez Judï. Trop facile. Trop lâche. Trop pathétique. Condensé parfait pour décrire ton comportement actuel. Ça ne t’empêche pas de balancer ton sac dans le taxi avant d’y prendre place. Trois semaines que tes bagages longent le sol de ton salon, tu ne les regardes que pour les détester en soupirant. T’y arrives pas. Ni à les prendre pour repartir en Italie, ni à les défaire. T’as l’impression que le temps s’est arrêté et que tout est en suspend. Ou plutôt, que le monde tourne, mais que c’est toi, qui est à l’arrêt. Avenir incertain, t’as pas la moindre idée de ce que tu vas foutre maintenant que t’es de retour. À la dérive, complètement paumée, tu n’es plus cette étoile brillante qui file dans un ciel lumineux, tu n’es que poussière qui traîne dans la pénombre. Est-ce que tu vas réellement t’en sortir un jour ? T’y croyais. Vraiment. Sincèrement. Quand t’as commencé à Rome, que t'avais l’impression de t’épanouir à nouveau, que les choses redevenaient comme avant. T’avais l’impression d’être à la hauteur, d’être à nouveau toi. Bonheur de courte durée puisque l’ombre paternel a jailli brutalement pour t’arracher ce répit que tu pensais mérité. C’est pas une bonne idée, Nova. Et pourtant, te voilà, traversant les rues de New-York dans un taxi jaune, bien loin de ta terrasse ensoleillée de Rome. C’en était trop, la sensation d’avoir les poumons comprimés et de ne plus pouvoir respirer avaient repris de plus belle. Tu suffoquais en réalité et toutes ces choses que tu commençais à apprécier avaient perdu leurs couleurs. Mais tu vas lui dire quoi, à Judï ? Que t’as encore échoué ? Que t’es qu’une incapable et que finalement, ton paternel avait vu juste depuis le début ? Que tu sais même plus quel jour on est parce que t’es pas encore sobre de la veille ? Que t’en as plus rien à foutre de tout, sauf de cette poudre blanche bien cachée dans ta trousse de maquillage ? T’en sais foutrement rien, de ce que tu vas lui dire. Ou peut être même, que tu vas rien lui dire. Bien sûr, que tu vas rien lui dire. Tu vas pas lui faire ça. Tu peux pas, lui faire ça. C’est pas une bonne idée, Nova. Tu devrais pas y aller, tu sais pertinemment comment ça va se passer : tu vas jouer ce rôle que tu haïs à la perfection, feignant de ne vivre que des petites broutilles sans importance. T’as pas le courage de t’ouvrir à lui, de tout lui raconter. Tu n’as pas le cran de décrire ce monstre que tu es devenue. Pourquoi faire ? Lui aussi, il voudra s’éloigner de toi. Comme les autres. Et puis, c’est trop tard maintenant que le chauffeur de taxi te répète que tu es arrivée à destination. Alors ta main tremblante s’empare de ton sac et te voilà dans l’ascenseur dont les portes s’ouvrent sur l’étage de Judï. Les quelques pas qui te séparent de sa porte d’entrée sont avalés et tu marques une pause pour t'habiller de ton plus beau sourire avant de sonner et de revoir les traits si familiers de ton ami. Tu allumes l’écran de ton portable et le lui montre, fièrement. "J’ai dit que j’serais là 1 heure après et me voilà en même pas 45 minutes, quel talent !" que tu débutes pour poser l’ambiance que toi, tu souhaites. Ou peut être pour t’éviter de fondre en larmes. "Tu m’as manqué, Cohelo". Tu t’avances vers lui pour glisser une de tes mains sur sa nuque et l’enlacer d’un bras, l’autre étant occupé à porter ton sac. Et finalement, tu te rends compte que, peut être, c'était finalement une bonne idée.