Rachel Anderson

Mes parents ont toujours rêvé de fonder une belle et grande famille. Ils s'imaginaient déjà dans une jolie maison pleine de joie où pourraient s’épanouir leurs nombreux enfants. Ils ne se sont jamais réellement accordés sur le nombre exact, mais je sais qu’ils en voulaient au moins trois. Seulement, ma naissance pour le moins chaotique a bien failli ruiner leur rêve… Ce jour-là, rien ne s’est passé comme prévu. Je me suis présentée par le siège, le cordon autour du cou. Ils ont dû pratiquer une césarienne en urgence… Cela aurait pu s'arrêter là, mais non… Ma mère a fait une hémorragie qui a conduit l’obstétricien à pratiquer une hystérectomie… Cette première grossesse serait donc la dernière.

Ce fut une épreuve bien difficile pour Monica. Ces rêves brisés, cette nouvelle vie remplie de mes hurlements de nouveau né exigeant, l'ont conduite vers une sévère dépression post-partum. Henry, mon père, n’a rien trouvé de mieux pour sauver son épouse que de lui offrir une nouvelle vie. Elle a toujours aimé New-York. C'est là qu’ils ont passé leur Lune de miel … Alors pourquoi pas ?

C'est donc dans une petite maison de Brooklyn que j’ai fait mes tous premiers pas. Mon père avait vu juste, ce changement lui fit énormément de bien . Ma mère recommença à s’occuper de moi et prit même plaisir à le faire, même si elle n’oublia jamais son rêve de famille nombreuse. Mais là encore, c'est mon père qui apporta la solution : pourquoi ne pas adopter ?

Jay fut le premier à rejoindre notre foyer. J’avais cinq ans quand il est arrivé chez nous. Je ne me souviens pas de grand-chose hormis le fait qu’il ne parlait jamais. Je ne savais encore rien de la Corée. Je ne voyais même pas la différence entre lui et moi. Je savais juste que c’était mon petit frère et que je devais prendre soin de lui.

Trois ans plus tard, ce fut au tour de Samuel de venir agrandir notre famille. Sam, c’était un gamin continuellement joyeux. Il parlait et riait beaucoup. Un véritable rayon de soleil. Jay et lui étaient très proches, à tel point que je me sentais souvent mise de côté. J’étais envieuse de leur relation, mais je mettais cela sur le fait qu’ils étaient des garçons… Pourquoi donc jouer avec une fille ? Une fille plus âgée, qui plus est… Enfin, je dis ça, mais nous étions tout de même très soudés tous les cinq, même si Jay, en bon gamin bagarreur, nous donnait souvent du fil à retordre.

Pour ma part, j'ai mené une scolarité des plus exemplaire. De bonnes notes, des amis sans aucun problème hormis ceux inhérents à l’adolescence… Après le lycée, je suis rentrée à l’université. J’y ai étudié l’architecture… J’y ai rencontré l'homme qui deviendra mon mari une fois mon diplôme obtenu. Ma vie promettait alors d'être simple, sans encombres.

Une fois diplômée, j’ai intégré une toute jeune agence spécialisée dans la rénovation des bâtiments historiques. J’en rêvais depuis toujours ! Tout allait parfaitement bien à cette époque. Je me suis mariée avec cet homme que je pensais merveilleux, ma carrière commençait à décoller. C'était génial ! Et puis, tout doucement… Les problèmes ont commencé à s’accumuler. Il voulait des enfants, pas moi. J’avais pour projet de créer ma propre agence. Je voulais m’offrir plus de possibilités, plus de liberté aussi. Petit à petit, je voyais ses regards se retourner vers les jolies demoiselles. Puis il a commencé à rentrer tard… Je le voyais, mais pourtant … Je ne disais rien. Quelle idiote. Mais ce n'est pas là la pire bêtise que j'ai pu commettre.

Cette agence dont j’ai rêvé… J’ai fini par la créer… avec lui. Si j'étais la plus créative de nous deux, il restait un excellent commercial. C’est lui qui nous ramenait les clients. Notre couple battait de l’aile, mais professionnellement parlant, tout allait bien…

Puis un jour, j'ai reçu un appel de ma mère. Jamais je ne pourrai oublier sa voix tremblante à l’autre bout du fil. Samuel venait de mourir… Quelqu’un l’avait assassiné. Pourquoi ? Pourquoi lui ? Mon cœur s’est arrêté à ce moment-là et, quelque part, je crois bien qu’il ne s’est plus jamais remis à battre depuis lors.

Je me suis longtemps enfermée dans ma tristesse. J'ai perdu mon sourire, une partie de moi. J'ai délaissé mon travail pour m’occuper de ma mère… Jay s’est détourné de nous. J’étais si impuissante…

Trois années ont passé. Mon mariage n’existait plus que sur le papier. L’on se disputait constamment… Si j’avais des soupçons concernant son infidélité, j’ai fini par en avoir la preuve. Je l'ai surpris, un beau jour, dans les bras d’une assistante… Sur son bureau. Je l’ai quitté ce jour-là… Mais je n’ai pas eu la force d’en parler à ma famille. Depuis ce jour, je loge à l’hôtel. J'ai demandé le divorce et entrepris les démarches pour la division de notre agence. Je n'ai plus du tout la force de continuer à travailler avec lui.

Aujourd'hui, si je continue à sourire, c'est uniquement pour éviter que l’on me pose la moindre question sur mon mariage raté. J’ai honte de m’être à ce point plantée. J'ai l’horrible impression d’avoir tout perdu. De cette famille, jadis soudée, il ne reste plus rien. Le seul frère qu'il me reste ne m’adresse presque plus la parole… Jay s’est tout bonnement enfermé avec ses émotions sans chercher à en parler. Cela m’inquiète énormément. En trois ans, il aurait dû être capable de faire son deuil… Nous y sommes tous parvenus. Samuel n’est plus, mais son souvenir perdure. J'ai plaisir à me remémorer chacun des moments que nous avons partagés ensemble.

Néanmoins, il paraît que lorsque l’on touche le fond, on ne peut que remonter.