((the smolthering blackness)) ☽ maría

Dans un recoin sombre du garage. Caché par l'ombre d'un bureau trois fois plus grand qu'elle. Elle ne le quittait pas des yeux. Elle contemplait son père dans son habitat naturel, portant les mêmes vêtements qu'il portait tous les jours, avec les mêmes bottes qu'il portait tous les jours. A l'origine elles étaient brunes, clair même. Les lacets étaient jaunes, et les parties en cuir intact. Avec le temps il était devenu impossible de distinguer l'élégant petit Carhart au talon de la paire. Noirci par le temps et l'usure, et pourtant María les voulaient. Son père prenait malgré tout religieusement soin de ses bottes, lui répétant sans cesse qu'une bonne paire de chaussures et presque aussi important que la qualité de ses outils. Il lui apprenait tout. A 3 ans elle était déjà sa petite assistante, lui ramenant les outils dont il avait besoin sans même qu'il est à le lui dire. Une relation solide basé sur un amour des voitures et un profond manque de communication. Un père aux multiples façades. Un maître à ses yeux, comme une idole que l'on ne connait pas vraiment, qu'on idéalise, aux défauts qu'on ignore parce qu'on refuse de voir la réalité tel qu'elle est. On refuse de voir les fissures dans l'image d'une enfance auquel on veut s'accrocher. Puis on prend du recul et on voit. On voit les bouteilles vide qui s'empile sans plus la peine d'être caché. Les cicatrices sur le visage d'une mère, d'un frère. Son sang sur les murs, les égratignures sur ses poings et on réalise, elle réalise : qu'il n'est pas aussi parfait. Sa joie quand elle le voit se dissipe, son rayon de soleil n'est plus. Des démons l’abritent, prenant possession de l'homme qu'il était. Qu'importe leur nom, alcoolisme, violence, colère, ils étaient au contrôle et elle ne pouvait le changer. Elle préférait ne voir que ses bottes. Le voir sous un moteur, occupé, distrait. L'imaginant sourire face aux complications de son métier. Car il ne sourirait à personne d'autres. Plutôt que de voir ses yeux remplis de tristesses inexplicable, de noirceur indescriptible; Elle l'imagine heureux sous des voitures plus endommagées les unes que les autres, dans un havre de paix chaotique de sa propre création. Elle lui ramenait des projets sans cesse, des épaves à retaper, des pièces rares à examiner, juste pour occuper son esprit. Elle passait chaque minute de chaque jour à penser à ce qu'il pourrait réparer ensemble, car tout le reste était irréparable. Des âmes jumelles, inséparable, mais toxique. Une anxiété dans son ventre quand il était dans la maison avec les autres. Une bulle se créée pour eux deux, rien qu'eux. Père et fille. Comme il le voulait réellement, comme elle se convainquait de vouloir vivre. Elle n'arrivait pas à concilier les deux. N'était-elle donc pas aussi la fille de sa mère ? Non. Englouti par son obscurité, incapable d'en sortir, il n'y avait le garage et rien d'autres. Même après sa mort. Une autre âme silencieuse était née, prenait sa place. Son âme apaisée que dans un seul endroit, portant ses infâmes bottes. Une abomination pour sa mère, mais elle ne savait pas vivre autrement. Jusqu'à lui. Lui.

Avant lui, elle était comme un fantôme jouant la comédie partout où elle allait. Charmante quand elle devait l'être. Élégante quand elle devait l'être, mais au cœur fermé. Fermé jusqu'à lui. Avec lui, tout était si réel. Sa générosité ne connaissait plus de limites. Sa force se décuplait, son sourire était enfin réel. Elle ne saurait l'expliquer. Elle voit le monde dans ses yeux. Tombe sous son charme presque immédiatement. Un regard échangé dans un rétroviseur et les voilà qui succombent. A l'amour, à la vie. Leur vie. Une vie qu'ils peuvent créer pour eux-mêmes, comme ils le souhaitent. Pour la première fois de sa vie, elle rêve, rêve d'une famille, d'une union. Elle devient romantique, presque niaise. Car elle n'a jamais aimé comme cela avant lui, et que les possibilités sont maintenant infimes. Son être tout entier cri son nom. Alors elle le lui prend. María. Martens. Moreno. Une évidence. Le genre d'amour qui surplombe tout et tout le monde. Il devient sa priorité, sa première pensée, son tout. Puis la vie arrive, ou s'arrête. Un accident qui change tout, qui le change lui. Un homme entier qui se perd. Perdu dans sa colère, sa frustration. Elle revient et chamboule tout. Installe des nuages de doute et d’insécurité dans une relation au ciel bleu. Les pièces de puzzles de leur vie se détachent, une par une. Elle a l'impression qu'il les enlève graduellement. Un jour, elle le regarde et réalise qu'elle ne voit plus d'image. Qu'il était détruit, désassembler. Que l'image changeait. Et María n'était pas sûr de vouloir en faire une autre. Elle a peur. Peur de la bouteille de vin vide qu'elle n'a jamais touché. Peur d'en voir d'autres. Peur qu'il devienne comme lui. C'est irrationnel et elle n'en parle jamais, mais elle avait peur de ses démons. Alors elle court. Abandonne. Un lâche face aux difficultés d'une vie de couple. Incapable de prendre plus de risques, de tenir le coup. Elle est en colère contre elle-même, contre lui, contre eux. Qu'ils n'aient pas pu survivre aux aléas de la vie. Une profonde tristesse, une amertume qu'elle noie dans son travail comme son père l'aurait fait. Sans Lieb son sourire n'est plus, que ses bottes ne restent.