(( Only hope )) ☾☾ Hwan

D’aussi loin qu’il était capable de se rappeler, Hwan avait toujours été un garçon relativement discret ; pas spécialement timide cependant, ni même avide de solitude, il n’aimait simplement pas être le centre de l’attention. Calme, intelligent et taciturne, il l’était également déjà à l’époque, préférant écouter que parler, même s’il était tout à fait en mesure de participer à une conversation, s’il le souhaitait. Des traits de caractères qui n’ont pas changé aujourd’hui parce qu’il est comme ça, Hwan… Hors, cela ne fait pas de lui une personne méchante ou associable, il est juste un garçon silencieux. Des silences qui peuvent déranger parfois mais qui, lorsqu’on apprend à le connaître, deviennent moins déstabilisants. Il fait partie de ces gens qui parlent, seulement quand ils ont quelque chose à dire, ou par simple politesse, même s’il essaie toujours de faire des efforts en compagnie de ses proches. Hwan, c’est aussi un battant, parce que la vie n’a pas tout le temps été clémente avec lui mais, malgré ça, il n’a jamais baissé les bras. Il n’est pas naïf, il a conscience que la roue ne tournera peut-être jamais en sa faveur, néanmoins il refuse de se laisser abattre pour autant. N'y a-t-il pas de meilleure revanche contre la vie que de se relever à chaque fois qu'elle essaie de nous faire tomber ?


Adossé contre le mur, la respiration haletante, ses yeux fixaient un point de vide alors que ses bras ne semblaient pas vouloir s’arrêter de trembler. La réalité parut le frapper soudainement, à la vue de ce couteau qu’il tenait fermement entre ses doigts, entièrement tâché de sang, le motivant à le balancer brusquement sur le sol. Ses tremblements s’accentuèrent, accompagnés de larmes, tandis qu’il ramenait ses mains à sa bouche, ses dents s’attaquant machinalement à ses ongles, rongés sous cet amas d’émotions qui l’habitaient. Des gouttes de sueur perlaient sur son front, mélangeant le choc, l'angoisse, et la culpabilité. Que venait-il de se passer ? Quel acte horrible venait-il de commettre ? Comment ? Pourquoi ? Tout s’était déroulé si vite, lui-même n’avait rien vu venir… Et le voilà assis par terre, bien vivant, le corps éteint de son père gisant juste devant ses yeux. L’avait-il vraiment fait ? L’avait-il réellement tué ? Cette marre rouge étalée sur le parquet était terrifiante, parce qu’elle était la conséquence du crime horrible qu’il venait de commettre ; poser son regard sur elle le traumatisait davantage, effrayé par l’avenir, effrayé par ses propres actions mais, par-dessus tout, effrayé par lui-même. Il avait tué son père. La réalité de son geste s'imposait, glaçante, tandis que la froideur du sol semblait aspirer la chaleur de chaque parcelle de son être, détruit. La douleur de ses blessures, à cet instant, paraissait si futile, à côté de toutes ses émotions qui le bouffaient, le choc beaucoup trop grand pour être en mesure de se concentrer sur autre chose. Ce n’était pas de sa faute, il n’avait pas voulu ça, étaient les réflexions qui traversaient son esprit, comme pour s’en convaincre, hors c’était faux. Parce qu’il était celui qui s’était emparé de ce couteau, il était celui qui avait asséné le coup de grâce et, peu importait les excuses qu’il s’inventait, ça ne changerait jamais la réalité… Il l’avait fait. Comment aurait-il pu se défendre autrement ? S’il n’avait pas attrapé cette arme, ce serait son corps qui serait allongé sur le sol… Il n’avait fait que vouloir se protéger, n’est-ce pas ? Après toutes ses années à endurer la colère de son paternel, à supporter ses sautes d’humeur, ses nuits bercées dans l’alcool, Hwan avait fini par commettre l’irréparable.

Au début, encore bien trop jeune, il subissait ses remontrances en silence, encaissant chaque coup sans jamais se plaindre, sans jamais révéler quoi que ce soit auprès de son entourage… Pourtant, dieu seul savait ô combien, à cette époque déjà, le jeune homme avait maudit son père à tant de reprises, lui souhaitant le pire et priant à ce qu’on le lui enlève une bonne fois pour toute, afin de pouvoir mener une vie correcte. Personne ne devinait l’environnement dans lequel il vivait, personne ne devinait les malheurs que cachaient ses sourires et, le peu de fois où il avait tenté d’en parler, on ne l’avait pas écouté. Fuguer, évidemment que Hwan avait aussi essayer cependant son père était comme un véritable détecteur et parvenait toujours à le retrouver. Pourquoi prenait-il autant la peine de le chercher et de le ramener à la maison si c’était pour le faire souffrir ? Une question à laquelle le garçon n’avait jamais eu de réponses et dont il ne souhaitait plus avoir désormais. Le fait étant qu’il avait cessé de prendre la fuite car, à chaque fois qu’il revenait à la maison, il voyait sa vie défiler sous ses yeux tant les punitions infligées étaient violentes, brisant un peu plus chaque parcelle de son corps et de son âme. Fuir n’était donc plus une option, subir semblait être la seule pour ne pas souffrir davantage, même si cela restait douloureux malgré tout. Bien que ses premières années n’avaient pas été tant malheureuses, lui ne se souvenait que des difficultés auxquelles il avait dû faire face… Parce que maman avait demandé le divorce, parce que maman était partie, emmenant sa sœur avec elle, parce que papa et lui se retrouvaient tout seul, parce que papa avait toujours eu un mauvais caractère, parce qu’il avait toujours apprécié l’alcool et les jeux d’argent mais que cette appréciation s’était accentuée avec le temps, parce que sa froideur s’était transformée en colère et que lui était devenu le réceptacle de toute sa frustration. Et c’était parce qu’il avait choisi de réprimer ses émotions, parce qu’il avait enfoui sa douleur pendant si longtemps, que la goutte d’eau avait finir par faire déborder le vase, le conduisant à ce jour dramatique où, du haut de ses dix-huit ans, il avait tué son père.

Coupable fut la sentence que le juge lui imposa, même si le garçon avait plaidé la légitime défense, hors il ne fut pas étonné du verdict… Peu importait les excuses qu’il donnait, cela ne changeait pas le fait que Hwan avait ôté la vie d’un homme. Il méritait cette punition, assurément le pourquoi il n’avait pas cherché à discuter, ni même à faire appel, parce qu’il voulait payer pour le crime qu’il avait commis. Autrement, il n’aurait pas suivi la police aussi docilement, il n’aurait pas avoué son meurtre non plus bien que, malgré tout, il ne s’agissait pas d’un acte prémédité. Le maillet cogné contre son socle de bois, le jugement annoncé, le garçon fut condamné à quinze ans de prison ; il en sortit au bout de dix. Dix ans passés enfermé entre quatre murs, dix ans privés de liberté mais également dix années pendant lesquelles il put réfléchir, remettre en question ses actes et cesser de culpabiliser pour avoir simplement voulu vivre, ne serait-ce qu’un jour de plus. Aujourd’hui encore, le jeune homme n’était pas en mesure de dire s’il regrettait son acte ou non, puisqu’il partait du principe que rien ne pouvait justifier un meurtre, cependant il était malgré tout soulagé de le savoir dans l’au-delà, incapable désormais de blesser qui que ce soit. Et si les premiers jours ne lui avaient pas permis d’accepter la réalité, encore choqué et marqué par ses propres actions, le reste de son temps coincé derrière les barreaux l’aida à songer différemment puis à changer. Parce qu’il ne pouvait pas s’autoriser d’être la risée de tous, parce qu’il se devait de s’imposer et ne pas se laisser marcher dessus ; c’était comme ça que cela fonctionnait en prison, l’être faible se faisait piétiner et s’il n’était pas en mesure de se faire respecter, il finissait écraser. Chose que Hwan refusait et, heureusement pour lui, les rumeurs circulant sur son crime jouaient en sa faveur pour les intimider. Un enfant qui ôtait la vie à son propre père, ce n’était pas anodin, puisqu’il fallait être dépourvu de sentiments pour commettre un acte aussi atroce. Tous n’avaient qu’une partie de l’histoire hors, en vérité, cela l’arrangeait et lui permit même d’en jouer plus d'une fois. Il était ce détenu calme, celui qui ne parlait pas beaucoup mais qui écoutait toujours ce qui se déroulait autour de lui, les conversations échangées et, si quelque chose ne lui plaisait guère, il n’hésitait pas à s’en mêler. Toujours à sa façon cependant. Bien qu’il avait appris à se défendre – assurément d’ailleurs le comment il avait pu finalement tenir tête à son patriarche – il n’était pas un grand amateur de violence et éviter d’utiliser ses poings, sauf vraiment en cas de nécessité. Lui préférait user de son intelligence, mais aussi du respect que les autres lui accordaient, pour empêcher certaines situations de dégénérer.

Etrangement, ses années emprisonnées n’avaient pas été aussi désagréables que ce que l’on aurait pu imaginer, sûrement parce qu’elles ne pouvaient pas être pires que ses années auprès de son père, et sûrement aussi parce que même s’il était enfermé entre quatre murs, il se sentait moins enchaîné ici que là-bas. Sa vie avait touché le fond, il n’avait plus rien, plus grand monde qui l’attendait à l’extérieur non plus, seulement il n’avait jamais été affecté par cela puisqu’il savait que s’il y mettait du sien, il y parviendrait. Le plus gros obstacle de son existence n’était plus de ce monde à présent, il estimait n’avoir rien à craindre et s’il souhaitait s’en sortir, il avait simplement tout à reconstruire. Peut-être que Hwan pensait trop positivement hors, peu importait tous les aléas que la vie lui avait infligés, il n’avait jamais voulu l’abandonner. Jusqu’à maintenant, il avait toujours désiré vivre, espérer s’en sortir et c’était la raison pour laquelle il n’avait jamais baissé les bras. Certes, il avait cru voir son monde s’effondrer à plus d’une reprise, il avait cru s’écrouler et ne plus parvenir à se relever mais il était toujours là. Libre depuis un peu plus d’un an, son quotidien avait ses hauts et ses bas, à cause de son passé qui le suivait sans arrêt, n’importe où il allait, néanmoins il n’y avait plus rien pour le retenir désormais. Il refusait de se laisser abattre devant de telles difficultés, que lui trouvait si infimes comparées à celles qu’il avait déjà vécues, et ce même si ce n’était pas simple tous les jours, même s’il souhaitait hurler parfois. Aujourd’hui, il n’avait plus envie de subir sa vie, il voulait la vivre.